L’AMI ARMENIEN d'Andreï MAKINE - Grasset 2021
Émetteur du florilège : François C.
Comme si, depuis longtemps, il avait appris ce qui pouvait persister d’essentiel et de sublime au-delà de nos enveloppes charnelles. Comme si, venant parmi nous, il avait gardé en lui le reflet d’un monde infiniment étranger à ce que les hommes vivaient sur cette terre.
La population du Bout comptait bon nombre d’anciens prisonniers, d’aventuriers vieillis et fourbus, de déracinés hagards qui -comme souvent en Sibérie- avaient, pour toute biographie, la seule géographie de leurs errances.
C’était un art commun aux peuples familiers des bannissements et des exodes, forcés de recréer, indéfiniment, leur espace vital -leur patrie transportée dans leurs maigres bagages. Oui, de gravir les tréteaux d’une existence vacillante, d’installer un décor où se joue le drame de leurs exils.
Gulizar était une de ces véritables « filles du Caucase » que chantaient leurs strophes, une nature ardente et hardie.
Après un temps de répit, son mal « arménien » revenait -obstruant ses poumons ou l’atteignant aux articulations et le rendant lent et claudiquant, ou bien, plus fréquemment encore, lui jetant au visage et au corps ces plaques rougeâtres dont nos condisciples n’hésitaient pas à se montrer dégoûtés et moqueurs.
Epoustouflé, je ne parvenais pas à retenir la suite des royaumes qui, sur cette terre antique d’Arménie, se créaient, resplendissaient, s’écroulaient sous les coups de boutoir des envahisseurs.
Le match qui venait de se terminer m’apparut telle la préfiguration de toute une existence, cette guerre d’usure qui ne leur laisserait pas le temps de lever les yeux vers le mouvement des oiseaux éclairés par le soir d’une fin d’été. Je me sentis péniblement muet, ne sachant pas encore que le désir de partager cet instant de beauté était le sens même de la création, l’aspiration véritable des poètes et qui restait le plus souvent incomprise.
Admiration, adoration, coup de foudre, émerveillement, tout cela, dans son abstraction livresque, n’avait aucun rapport avec ce que j’éprouvais. La seule empreinte de ses souliers laissée dans la poussière le long de la voie ferrée abandonnée -cette marque fine et délicatement imprimée- me déplaçait dans un univers où chaque objet espérait recevoir un autre nom.
Je compris que nos vies glissaient tout le temps au bord de l’abîme et que, d’un simple geste, nous pouvions aider l’autre, le retenir d’une chute, le sauver. Presque par jeu, nous étions capables d’être un dieu pour notre prochain.
Bien des années plus tard, j’apprendrais qu’il s’agissait d’un million et demi de personnes anéanties.
L’infériorité que nous éprouvions tous à l’orphelinat nous faisait fantasmer sur les avantages dont les enfants « normaux » pouvaient se prévaloir. Vardan, devenant un sang-mêlé, sans père connu et orphelin de mère, se rapprocha de nous, rompant notre statut de parias et, bien qu’inconsciemment, j’en concevais pour lui une certaine gratitude.
La rapidité avec laquelle ma vie sembla basculer rappelait cet intervalle entre le moment où nous sentons une tasse échapper à nos mains et le bruit d’éclatement.
Un monde régi par une seule règle : la cruauté et le dédain pour la moindre défaillance, une haine bien plus impitoyable que dans les cellules des adultes.
Ainsi, les fous et les poètes échappent-ils parfois à la nasse de cette existence commune, légitimée par nos habitudes, nos peurs, notre incapacité d’aimer.
Non, la vraie leçon était autre : l’invraisemblable rapidité avec laquelle la routine de la vie effaçait les événements qui semblaient d’une si haute importance, les personnes qui, quelques jours auparavant, constituaient la part la plus précieuse de nous-mêmes.
Au milieu des mille souvenirs évanouis et des jours effacés dont mon existence serait faite, la permanence de ces visages d’inconnus ne cesserait de me surprendre.
Je devinais que le seul mystère digne d’être sondé se cachait dans notre capacité à résister à ce flot d’inepties qui nous entraînait loin du passé où nous avions égaré l’essentiel de nous-mêmes.
Et c’est en vieillissant que j’ai pris conscience que je me retrouvais désormais à égalité avec cet enfant et que je vivais comme lui, et comme nous tous, l’épuisement de plus en plus accéléré du risible nombre de jours qui nous séparent de la mort.
Sans s’en rendre pleinement compte, il vivait avec le sentiment de ne plus avoir une minute à perdre en s’engageant dans les jeux de rivalités et de désirs, cette farce humaine qui nous attirait tant. Le peu de jours qui lui restaient à vivre devaient servir à l’essentiel.
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Blizzard de Marie Vingtras - L'Olivier
Coup de cœur d’Élodie, librairie De fil en page:
Au cœur d’un violent blizzard en plein Alaska, un petit garçon disparaît. Bess n’a pourtant lâché sa main qu’un bref instant. Elle se lance à sa recherche, tout comme Bénédict et Cole. Alors que chacun lutte contre les éléments, les souvenirs remontent, le passé ressurgit.
Un premier roman captivant au suspens maîtrisé qui nous plonge en plein froid comme dans les tourments de l’âme humaine.
“Les gens d’ici vous demandaient jamais d’où vous veniez. Vous pouviez vous être sorti les fesses tout droit de l’enfer ou être descendu du paradis, ça faisait pas de différence. Si vous étiez prêt à vivre au milieu de nulle part, à travailler dur, et à pas vous plaindre, il y avait une place pour vous.“
Mais laissez-nous vivre ! de Marie de Greef-Madelin et Frédéric Paya - Plon
Émetteur du florilège: François C.
La norme, sa vie, son œuvre…Ou comment paver l’enfer de bonnes intentions
Au total, il y aurait aujourd’hui en France près de 400 000 normes, 11 500 lois avec leurs 320 000 articles auxquels il convient d’ajouter 130 000 décrets.Si la France se dope, ou, pourrait-on plutôt dire, se drogue, aux normes, c’est que depuis longtemps elle montre un goût sans limites pour la formalisation tandis que le monde change rapidement.
En 1978, le code du travail comptait 100 pages et pesait 500 grammes : en 2019, ces chiffres sont passés à 3 762 pages et 1 470 grammes !
Notons toutefois qu’être conforme aux innombrables normes existantes coûterait chaque année près de trois points de PIB à la France, soit plus de 60 milliards d’euros !
Le travail, c’est la santé…Arrêtés, lois et normes permettant de la conserver…
L’entreprise (trop) bien encadrée Ou comment gaspiller l’énergie des patrons
Pour les entreprises, l’analyse des différents codes, et notamment celui du travail et le respect des normes constituent un véritable chemin de croix…En 2012-2013, la France se classait au 126ème rang sur 144 en termes de complexité administrative selon le World Economic Forum.
La France est désormais le quatrième pays du monde où le taux d’impôt sur les sociétés est le plus élevé (33,3% pour les bénéfices supérieurs à 500 000 euros et 28% pour les bénéfices inférieurs), pour une moyenne mondiale de 24%.
La France pâtit aujourd’hui de la complexité et de l’instabilité de son environnement législatif et réglementaire.
Il faut être motivé pour faire du commerce Difficile de vendre ce que vous voulez, quand vous voulez
Pour l’employeur, la moindre méconnaissance du code du travail au sujet du repos hebdomadaire et du repos dominical se voit sanctionnée par une contravention de 5ème classe.
Dans les méandres du RGPD Ou comment être protégés malgré nous !
Toute personne qui a eu ses données personnelles collectées par une entreprise doit pouvoir les consulter « sous un format lisible ».
Pour une entreprise, le RGPD est un cauchemar qui se déroule en six étapes.
Que ce soit à des fins de santé, de sécurité, de lutte contre le terrorisme, de prévention des risques de crédit…tout deviendra bon pour passer à la moulinette les données personnelles.
L’agriculture entre contraintes et contrôles Ou le bien-être animal face à l’enfer agricole
Les agriculteurs sont chaque jour un peu plus engloutis par le poids des normes…En moyenne, un agriculteur passe 15% de son temps à remplir des documents administratifs…Cette masse de contraintes et de contrôles entraîne, dans le monde paysan, une pression psychologique sans précédent.
Toutes productions confondues, en 2016, près de 20% des fermes se trouvaient en déficit. Selon les statistiques de la Mutualité Sociale Agricole, 30% des paysans ont même un revenu mensuel inférieur à 350 €. Pris dans une spirale financière infernale, assommés par la réglementation, un quart des éleveurs de bovins ont ainsi mis la clé sous la porte entre 2000 et 2013.
L’environnement ne manque pas d’air Ou quand les normes prennent l’eau
Chez nous, 25 millions de bouteilles plastique sont jetées chaque jour, la France faisant partie des cinq pays du monde qui en consomme le plus.
Quant au code de l’environnement, le moins que l’on puisse dire, c’est que sa complexité permet de contourner le droit.
La fièvre normative gagne l’immobilier Quand la réglementation va, tout va (comme les prix…)
Si les prix des logements en France ont été multipliés par deux en dix ans, c’est largement imputable à la hausse vertigineuse de la réglementation sur la construction…Entre 2007 et 2017, pas moins de 5000 normes ont vu le jour.
La norme bâtiment basse consommation, créée par un arrêté du 3 mai 2007, a renchéri à elle seule les coûts de construction de 8 à 9%.
Le gouvernement a multiplié la création de dizaines de labels et certifications depuis le Grenelle de l’environnement…Un engouement des organismes publics, semi-publics ou entièrement privés, chacun définissant les principes de son label ou certificat, les conditions d’attribution, de suivi, de contrôle…Qui n’ont généralement pas un caractère obligatoire mais volontaire et incitatif, tout en influant sur les prix de la construction.
Transportons-nous Normes tortues ou normes tordues ?
Depuis le 1er septembre 2015, la loi impose que tous les cars transportant des élèves soient équipés de ceintures de sécurité…
Une jolie route touristique connue jusqu’ici pour ses petits villages et ses vins…mais aussi pour détenir le triste record de France des modifications de limitation de vitesse : 42 sur 36 kilomètres.
Le sport (trop) encadré Ou, pour son confort, mieux vaut faire du foot que toute autre activité !
A croire que Courteline a quitté l’administration publique et s’est mis au basket !
Les collectivités locales sont unanimes à dénoncer les excès normatifs des fédérations sportives, excès qui illustrent les « effets pervers » de la séparation « normeur payeur ».
Eau dans les vestiaires, eau dans les douches et eau sur les terrains de sport…Toujours cette obsession pour ne pas dire cette histoire d’eau. Une eau qu’il faut, bien entendu, évacuer.
On ne fera pas avaler n’importe quoi à vos enfants Personnel, qualité, nutrition et gaspillages…la vie rêvée des cantines
Le maître mot en restauration scolaire est « sécurité alimentaire ». Pour les enfants (et leurs parents), celle-ci doit être garantie de la réception des produits à la consommation.
En fait, pour chaque denrée sucrée comme pour les produits gras, les portions sont définies au gramme près dans le texte de 2011.
Du vidage des poubelles (à couvercle non manuel) au dépoussiérage du mobilier, à l’aspiration au sol et au lavage, tout est réglementé…
Encore un paradoxe : si le plastique met en danger notre santé -et la planète- pourquoi est-il « urgent » d’attendre 2025 ?
Tant qu’on a la santé ! Et ce n’est pas gagné…
Chers vivants, soyez rassurés pour après aussi. La norme, le règlement et la loi vous suivront même une fois votre dernier soupir poussé…
Des jouets sous haute surveillance Ou quand des jouets n’en sont pas
Lorsqu’il a décidé de plonger dans l’univers du jouet…cet entrepreneur n’a pas été déçu par la complexité ubuesque de ce monde.
La liste des produits dangereux est longue : pas moins de 55 substances parfumantes allergisantes sont interdites dans les jouets.
On comprend mieux alors pourquoi certains produits fabriqués en Asie portent la mention « Ceci n’est pas un jouet », et échappent à la réglementation européenne. Une technique qui permet au fabricant ou à l’importateur de ne pas se conformer aux normes et d’éviter d’avoir à payer le certificat de conformité.
Drôles de drones ! ça ne vole pas haut…
Sans (a priori) le savoir, l’homme a cumulé les infractions : vol de nuit, sans autorisation, en agglomération, au-dessus d’un monument historique…
En France, cette activité est extrêmement réglementée.
Quand la finance tire les leçons de la crise de 2007 Ou comment s’en sortir avec la norme MIFID, mi-raisin
Pour gommer l’image du banquier aigrefin, les autorités de tutelle européenne sont passées d’un extrême à un autre. Après avoir péché par négligence, elles se sont attachées à tordre le cou à une profession qui, contrairement au monde industriel, n’a nul besoin de fabriquer de nouveaux produits pour gagner de l’argent.
Au final, pour de nombreux banquiers, les exigences accrues de la réglementation MIFID 2 risquent de réduire l’offre et la demande de produits financiers aux investisseurs.
Le renforcement du cadre prudentiel en Europe avec MIFID 2 pèse sur les coûts de production des banques alors même que l’évolution de leur environnement (taux d’intérêt historiquement bas, émergence de nouveaux acteurs de banques en ligne…) grève leurs résultats financiers.
Seniors sous haute surveillance Prisonnier d’un Ehpad
6 900 maisons de retraite où 43% des établissements sont publics et le reste privé. L’objectif de ce plan « prise en charge de la dépendance » ? Améliorer la prise en charge des 728 000 personnes Ehpad hébergées, lesquelles sont de plus en plus âgées et dépendantes.
Le poids de la norme, l’obsession de la sécurité, le principe de précaution accompagné du risque de menace pénale…ont conduit les Ehpad à illustrer ce que peut être « l’horreur normative », provoquant l’effet inverse de celui recherché.
Entre les réglementations pertinentes et applicables, celles jugées complexes et celles impossibles à appliquer, les directeurs d’Ehpad s’avouent souvent dans une situation précaire. Dans le même temps, les investissements liés à l’empilement de normes à respecter ont un impact sur le prix de la journée des résidents, jusqu’à devenir insupportable pour les foyers modestes.
Vive l’Europe ! Si tatillonne et économe
Face aux nombreuses critiques sur sa tendance à tout normaliser, réglementer, notamment dans le domaine alimentaire, la Commission européenne a décidé de riposter : « Les normes européennes sont nombreuses, car elles portent sur des sujets divers tels que les produits de consommation, la sécurité des bâtiments, la qualité de l’environnement…mais elles ne sont pas absurdes ! Elles ont toute leur utilité. »
Ceux qui vivent pour les normes Et surtout aussi des normes…
Fort de 158 millions de chiffre d’affaires pour un résultat de 2,6 millions, le groupe Afnor intervient dans : la normalisation ; le Comité européen de normalisation ; l’Organisation internationale de normalisation.
De quoi alimenter la machine puisque le produit tiré des ventes sert « à financer l’élaboration de nouvelles normes dans un contexte neutre et permet de les mettre à jour ». Un peu comme les Shadoks qui passaient leur temps à pomper !
Quand la France lave plus blanc que blanc…L’Europe ordonne, notre pays surtranspose
Outre des conséquences sur les entreprises, cette fâcheuse tendance à surinterpréter en a également pour le pays…et, en bout de course, les finances des Français.
Il semble que la surtransposition des règlements européens soit une maladie typiquement française !…La dimension économique et le coût pour l’économie de la réglementation excessive ou d’une « mauvaise » réglementation ne sont pas encore vraiment pris en compte. » Tout est dit !
Et à l’étranger, ça transpose aussi ? Comment la France se retrouve bien seule…
Postface par Guillaume POITRINAL Simplification : la France est pourtant prête !
Notre organisation politique, administrative et juridique est le résultat d’une sédimentation inouïe, qui reflète à la manière d’un gigantesque mille-feuille soixante quinze ans d’idéal de société, de progrès social, d’écologie, de sécurité…mais aussi de protection des intérêts privés les plus indicibles.
Aujourd’hui, avec le temps, la haute fonction publique est devenue l’auteur libéré de la complexité administrative, mais aussi sa première victime…Auteur, car rien ne doit échapper aux mailles du filet réglementaire produit par cette super-élite…Mais aussi victime, car nos élites administratives se sont elles-mêmes embourbées dans leur propre complexité administrative.
La complexité a un coût : elle entretient une dépense publique phénoménale, qu’il serait bien utile de réorienter…Et surtout, elle ralentit les transformations inéluctables du pays, les rendant finalement bien plus douloureuses pour la population.
Aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni, où l’on a pris conscience de l’enjeu de la complexité administrative, des institutions légères, mais pérennes, viennent contrôler le flux de nouvelles obligations et proposent sans discontinuer de simplifier les procédures et les formulaires existants. Tout cela se fait sans heurter les équilibres sociaux ou environnementaux. Tout simplement dans l’intérêt général. Je veux croire que ce serait encore possible dans notre pays.
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L'enfer numérique, voyage au bout d'un like de Guillaume Pitron - Les liens qui libèrent
Émetteur du florilège: François C.
Nous avons structuré un royaume de béton, de fibre et d’acier, hyperdisponible, sommé d’obtempérer à la microseconde près. Un « inframonde », constitué de datacenters, de barrages hydroélectriques, de centrales à charbon et de mines de métaux stratégiques, tous unis dans une triple quête : celle de puissance, de vitesse et…de froid.
La pollution digitale met la transition écologique en péril et sera l’un des grands défis des trente prochaines années.
La « génération climat » sera l’un des principaux acteurs du doublement, annoncé à l’horizon 2025, de la consommation d’électricité du secteur numérique (20% de la production mondiale) ainsi que de ses rejets de gaz à effet de serre (7,5% des émissions globales).
NUMERIQUE ET ECOLOGIE : UN LIEN FANTASMé . Les villes intelligentes au chevet de la planète Défi : articuler et mieux organiser les flux de personnes, de biens et d’énergie, afin de rendre la ville de demain plus agréable à vivre.
. Le véritable coût écologique des SMART CITIES En étudiant le « métabolisme urbain » d’une agglomération, les urbanistes entendent recenser les flux de matières, d’énergie et de déchets qui y entrent et en sortent afin d’en apprécier les performances écologiques.
. Les mathématiques au service de la nature Tout d’abord, le numérique permet d’acquérir une connaissance inédite de la santé de la planète…Ensuite, il concourt à optimiser nos modes d’organisation…Enfin, il nous encourage à verdir nos modes de consommation.
. Quand l’industrie numérique réécrit le futur Les TIC consomment environ 10% de l’électricité mondiale, soit l’équivalent de la production de 100 réacteurs nucléaires. Si le numérique était un pays, il se classerait au troisième rang des consommateurs d’électricité, derrière la Chine et les Etats-Unis.
. Géographie d’un LIKE Pour parvenir au destinataire, le Like a voyagé à travers sept couches de fonctionnement d’Internet.
. Pollution numérique : une prise de conscience Peut-on vraiment parler de « numérique au service du vert » (« IT for Green ») si ce dernier n’est pas, lui-même, vert (« Green IT ») ?
DE LA ZENITUDE DES SMARTPHONES . Voyage au cœur des mines de graphite La Chine produit près de 70% de ce minerai…L’impact de cette industrie sur les hommes et l’environnement peut s’avérer particulièrement lourd.
Internet induit une gigantesque infrastructure qui siphonne une part croissante des ressources terrestres : 12,5% de la production mondiale de cuivre et 7% de celle de l’aluminium.
Il est incongru de parler de « dématérialisation » de nos économies dès lors que le virtuel génère des effets colossaux dans le monde réel.
. L’Estonie, l’Etat qui fait le pari du tout-numérique Cette petite République détient la palme de l’Etat le plus numérisé et « dématérialisé » du monde…La vie numérique y paraît fluide et douce. Quant aux infrastructures physiques, énergétiques et autres logiciels qui maintiennent tout cet appareil en état de fonctionnement, on ne les voit ni n’en entend jamais parler… « dématérialiser, c’est matérialiser autrement ».
. Une ère de purges électroniques Sapiens est logiquement devenu un Homo detritus qui produit, chaque année, l’équivalent de cinq mille tours Eiffel de déchets électroniques…A l’accumulation de ces rebuts hybrides répondront ces quatre injonctions cardinales : récupérez, réparez, réutilisez et recyclez.
. Une autre informatique est possible Ces actions concrètes montrent que les consommateurs sont, aux côtés des entreprises de la « tech », coresponsables de la pollution numérique, et peuvent agir pour la réduire.
LA MATIERE NOIRE DE L’IMMATERIEL . Le MIPS = la quantité de ressources nécessaires à la fabrication d’un produit ou d’un service…Concrètement le MIPS (Material input per service unit) évalue l’ensemble des ressources mobilisées et déplacées durant la fabrication, l’utilisation et le recyclage de chaque production…Cette approche se traduit par un chiffre, le « sac à dos écologique », i.e. le coefficient multiplicateur de chacune de nos actions de consommation…En effet, notre sac à dos écologique avoisine 38 tonnes par an par utilisateur.
. Le vertigineux coefficient des technologies numériques Le numérique a -insensiblement- fait exploser notre empreinte matière…La théorie du « facteur 4 » : diviser par quatre notre consommation de matière et d’énergie permettrait de produire deux fois plus de biens tout en réduisant par deux l’impact global de cette production.
. Le tribut écologique des nanomondes Les 500 étapes de la chaîne de fabrication d’un circuit intégré vont faire intervenir jusqu’à 16 000 sous-traitants, éclatés dans des dizaines de pays à travers le monde…Cette logistique « engendre une consommation d’énergie absolument monstrueuse ».
. Une fuite en avant énergétique « Plus on élabore des petits objets, plus il faut de grosses machines qui consomment beaucoup d’énergie pour les fabriquer ».
. Dans les vapeurs du numérique Nos modes de vie numériques, pourtant célébrés comme la quintessence de l’abolition de notre empreinte écologique, sont gourmands de substances aux pouvoirs les plus réchauffants et les plus inaltérables qui soient.
. Honeywell, recours et verrou de la lutte contre le climat Le prix prohibitif du HFO pratiqué par Honeywell, firme devenue tout à la fois un précieux recours contre le réchauffement du climat…et un obstacle (le prix du HFO pratiqué par cette même firme).
ENQUETE SUR LE NUAGE . DATACENTERS, les usines de l’ère numérique Une douzaine d’années ont ainsi suffi pour que le nuage s’enracine dans le sol, dans tous les hubs de communication majeurs…Il existerait aujourd’hui près de trois millions de datacenters d’une surface de moins de 500 mètres carrés dans le monde, 85 000 de dimension intermédiaire et une petite dizaine de milliers dont la taille peut avoisiner celle de l’Equinix AM4.
Le marché mondial de ces infrastructures, qui avoisine 124 milliards d’euros annuels, croît de près de 7% par an.
. Les pouvoirs insoupçonnés des trottinettes partagées La data constitue donc un actif stratégique, l’or noir des entreprises de mobilité vouées à nous recommander, demain, des offres de déplacement toujours plus adaptées à nos besoins.
. La fin de notre anonymat Plus une entreprise se trouve au centre du cloud, plus elle pourrait devenir riche et puissante…Champion par excellence de ce modèle économique, Facebook est devenu la régie publicitaire la plus performante au monde qui vend beaucoup de renseignements sur qui vous êtes.
. Extension du domaine de la DATA Les entreprises stockent tout et n’importe quoi…La collecte systématique mondiale de toutes sortes de données décuple les besoins en datacenters.
. L’homme qui a tenté d’assoiffer la NSA Aussi démiurgique fut-elle, une architecture de surveillance globale repose donc toujours sur un sous-jacent matériel qui la régente et la gouverne… » pas d’eau = pas de NSA ».
UNE FANTASTIQUE GABEGIE D’ELECTRICITE . Tempête sur le nuage On doit comprendre qu’Internet s’épanouit au rythme d’un commandement intangible, absolu, sacré : « la continuité de service ».
. La continuité numérique à tout prix Les hébergeurs pratiquent d’abord la « redondance » des réseaux de distribution d’énergie ; ils dédoublent également les datacenters eux-mêmes ; enfin ils « surdimensionnent » les infrastructures pour anticiper les pics de trafic.
Les datacenters figurent parmi les plus gros consommateurs d’électricité d’une agglomération…Ils figureront « parmi les plus importants postes de consommation électrique du XXIème siècle ».
. Amsterdam sous tension Amsterdam et sa région constituent l’un des plus gros carrefours européens de fermes de données…L’agglomération décrète brutalement le premier moratoire du monde sur la construction de nouveaux centres de données.
. Pas de selfies sans charbon Il nous semble dès lors exact d’affirmer que nos modes de vie numérique génèrent un impact indélébile sur les paysages les plus sauvages (par ex. : la Virginie Occidentale).
. Les GAFAM à genoux devant Dominion Energy ? L’ensemble de l’industrie numérique, qui capte environ 10% de l’électricité produite sur la planète, serait responsable de 3,7% des émissions de gaz à effet de serre – un chiffre qui pourrait doubler d’ici à 2025.
LA BATAILLE DU GRAND NORD . La technologie pour des données plus propres « L’énergie est le premier poste de dépense d’un datacenter ».
Comment gérer la faramineuse consommation d’électricité du secteur numérique ?
.Le DATACENTER extra-frais En octobre 2011, Facebook annonce avoir fait le choix d’une localité située à 100 kilomètres du cercle arctique…Depuis 2013, toutes les données produites par les Européens dont Facebook a la propriété sont concentrées dans le Grand Nord…
.L’esthétique de l’immatérialité Cette stratégie marketing de « profits sans conflits » puise ses sources dans le « capitalisme zonal » : une zone économique spéciale, souvent cloisonnée, « dans laquelle un effort intense a été engagé pour créer un climat favorable aux affaires ».
. Le barrage de la discorde « Les barrages hydroélectriques ont un impact sur la biodiversité bien plus lourd que n’importe quelle électricité verte ».
. Las Vegas dans le Grand Nord En quelques années, la Scandinavie s’est transmuée en terre promise pour des enseignes telles qu’Amazon Web Services, Google et Microsoft.
Imaginez combien le monde serait bouleversé, la géographie des câbles, des fermes de données, des centrales électriques et des hubs digitaux sens dessus dessous si les internautes étaient capables de patienter ne serait-ce qu’une seconde supplémentaire.
. Des solutions pour nous mettre à la diète numérique Nous pourrions réfléchir à la manière d’imposer des forfaits dont le prix serait fonction des volumes de données effectivement consommées.
Il faudrait nous attaquer aux origines mêmes de notre obésité numérique, puis optimiser les procédés et les réseaux électriques. Faute de quoi les industriels continueront de parler dans la même phrase d’explosion des data et de responsabilité environnementale, de puissance de calcul démultipliée et d’électricité décarbonée puisée dans les fleuves.
EXPANSION DE L’UNIVERS NUMERIQUE Le développement de l’IOT (« the Internet of things ») a connu un essor tel que la planète compterait à ce jour 20 milliards d’objets connectés…Cette interconnexion généralisée ne peut advenir qu’à la condition qu’un réseau ultra-performant puisse faire transiter les fabuleuses quantités de données produites.
. Fréquences hautes pour machines émancipées La 5G permettra de transférer dix fois plus de données que sa prédécesseure en un laps de temps dix fois moindre.
La facilité d’installation de la 5G par rapport à la fibre et la diminution de la latence pourraient donner vie à une immense variété d’objets et d’infrastructures pilotables à distance, tels que les drones, les navires, les hôpitaux et les véhicules.
. 5G : des enjeux écologiques largement ignorés Quel est le coût écologique de cette aventure technologique, sachant que la 5G va faire exploser notre consommation d’Internet et de données ?
A nous engager tête baissée dans un monde prétendument éthéré et libre de tout carcan physique, nous fuyons cette évidence qui, inéluctablement, nous rattrapera : un monde dématérialisé sera un monde toujours plus matérialiste.
. Vers un « connectedgate » ? Plus de 500 millions de voitures connectées devraient circuler dans le monde en 2025…Une voiture connectée peut concentrer jusqu’à 150 calculateurs et produire, au bas mot, 25 gigaoctets de données par heure.
. 16 777 216 teintes de bleu L’ouvrage décrit la « matrice des manipulations » perfectionnées par les développeurs aux fins de nous faire consulter notre téléphone pas moins de 150 fois par jour.
. La mécanique du rouge Ce stimulus visuel œuvre comme un déclencheur, induisant l’action d’ouvrir l’application en vue de l’obtention d’une récompense.
La pollution intellectuelle et sociale générée par les techniques de la captologie engendre donc une pollution environnementale…Ces trois formes de pollution sont interdépendantes et l’on ne peut donc pas s’attaquer à l’une sans traiter les autres.
L’expansion de l’univers numérique, c’est donc la connexion de tout et de tous, tout le temps et en tous lieux.
QUAND LES ROBOTS POLLUERONT DAVANTAGE QUE LES HUMAINS . Les robots : une activité numérique exponentielle En 2023, les connexions entre machines (M2M pour machine to machine) devraient totaliser la moitié des connexions sur le Web.
Nous basculons d’un réseau utilisé par et pour les hommes à un Internet exploité par, voire pour les machines…Nous entrons dans une nouvelle dimension de la pollution numérique, un bouleversement de paradigme.
. Stratégie d’obsolescence humaine programmée Cette mutation des marchés financiers bouleverse toutes les grandes familles d’acteurs qui s’y rencontrent.
. Une multinationale en quête d’investissements passifs Dans le sillage des fonds passifs, c’est l’ensemble de la finance qui devient, de plus en plus, une affaire de lignes de codes, d’algorithmes et d’ordinateurs.
A l’évidence, la vague des fonds passifs accélère la crise climatique davantage qu’elle ne la résout, puisqu’elle « pompe des capitaux au profit des entreprises à forte intensité carbone »…Les ordinateurs s’affichent comme les plus constants soutiens des hydrocarbures.
. Une super-intelligence au service de la planète Une théorie fascinante et dérangeante à la fois : la principale forme d’intelligence dans l’univers serait déjà de nature électronique…L’éventualité, même théorique, de mettre l’IA au service de la planète pose des problématiques éthiques, philosophiques et démocratiques fascinantes.
. Un « Léviathan vert » contre l’homme ? Serons-nous, tout simplement, en mesure de soutenir, techniquement, la hausse exponentielle des données produites, échangées, stockées et traitées ?
Notre société surconnectée accouche en effet d’un bouleversement radical de paradigme : les défis d’un monde dopé à l’abondance sont désormais encore plus colossaux que ceux d’un monde asservi à la rareté.
VINGT MILLE TENTACULES SOUS LES MERS Cela fait en effet des décennies que les hommes mettent en place des circuits physiques pour consolider l’architecture d’Internet et soutenir sa formidable montée en puissance.
. Des illuminés dans la soute du Net Internet est un gigantesque réseau amphibie : près de 99% du trafic mondial de données transite aujourd’hui, non par les airs, mais via des courroies déployées sous terre et au fond des mers.
Environ 450 tentacules « allumés » tapisseraient désormais le fond des océans, totalisant 1,2 million de kilomètres, soit trente fois la circonférence de la Terre.
. Câbles, sable fin et serviettes de plage La filière de l’industrie européenne des câbles sous-marins est en ébullition. Son chiffre d’affaires global croît de 11% par an et devrait s’élever à 22 milliards de dollars en 2025.
« Le prix du câble au kilomètre n’a pas changé depuis plusieurs décennies, mais leur capacité initiale a été multipliée par un milliard ».
. A la recherche du temps gagné Les sociétés de trading sont prêtes à tout pour acheter et vendre plus vite que leur ombre.
. Une seconde vie pour les tuyaux du Web Un million de kilomètres de circuits optiques désaffectés reposent aujourd’hui au fond des mers…Cette réalité pose logiquement la question de l’impact environnemental des câbles…Qu’allons-nous faire du nombre croissant de câbles obsolètes ?
. Un risque de « pénurie de capacités » ? Du fait de notre addiction aux données, nous ne cessons de repousser un problème que nous contribuons inlassablement à alimenter.
GEOPOLITIQUE DES INFRASTRUCTURES NUMERIQUES Nos vies numérisées sont dupliquées dans une infrastructure de métal, de béton, de verre, dont nous sommes des milliards de colocataires, distraits et indifférents.
Sous couvert de tout dématérialiser, le numérique matérialise en fait deux fois ce que nous entreprenons.
. Les nouvelles autoroutes de l’Arctique L’itinéraire, qui doit être affiné, relierait le Royaume-Uni à la Chine via la Norvège, la péninsule de Kola (Russie), le passage du Nord-Est et le Japon.
. Quand la Chine déploie sa « route de la soie numérique » Internet est un nouvel instrument au service de la quête de pouvoir et d’argent. Pékin a parfaitement compris que les divertissements numériques ne seront, au XXIème siècle, que la continuation de la guerre par d’autres moyens.
Les données sont le nouveau carburant de ces éternels moteurs de l’histoire que l’on appelle la quête d’influence, de prestige, et de prospérité -auxquels la Chine et ses rivaux aspirent.
. Systèmes optiques contre navires câbliers : la saga Global Marine En une vingtaine d’années, Pékin a donc conduit avec succès une stratégie d’autonomie dans le secteur, ô combien critique, des câbles optiques.
. Le jour où des armées protègeront le réseau Nous ne comprenons pas que nous enfantons un monde où les divertissements généreront des tensions, voire des conflits, parce qu’ils ne nous seront offerts qu’au prix d’un impact spatial, matériel, dont nous ne pourrons jamais nous soustraire.
Quoi qu’en disent les chantres de la dématérialisation, la matière continuera de nous gouverner aussi assurément que la flèche du temps, la force gravitationnelle et les lois de la thermodynamique.
. L’Europe à la recherche d’une souveraineté numérique Jusqu’où ira le contrôle de l’armature du Net par les GAFAM, et dans quelles situations de dépendance aux entreprises les plus puissantes du monde les Occidentaux seront-ils placés ?
RUE DE L’AVENIR Les « rues de l’avenir », ces chemins conduisant le numérique des Lumières, sont pléthore et contradictoires.
Nos rues de l’avenir seront probablement une hybridation de ce large éventail de solutions qui fermentent aujourd’hui aux quatre coins du monde.
Cette technologie est -et sera- ni plus ni moins écologique que nous le sommes. Si nous nous plaisons à gaspiller les ressources alimentaire et énergétiques, le numérique permettra d’accentuer cette inclination.
L’outil œuvre comme un catalyseur de nos initiatives quotidiennes les moins honorables comme les plus nobles…Le numérique nous invite, finalement, à mûrir cette puissante injonction du mahatma Gandhi : « Soyez le changement que vous désirez voir en ce monde. »
Apocalypse cognitive de Gérald Bronner - PUF
Émetteur du florilège: François C.
La situation inédite dont nous sommes les témoins est donc celle de la rencontre de notre cerveau ancestral avec la concurrence généralisée des objets de contemplation mentale, associée à une libération inconnue jusqu’alors du temps de cerveau disponible…Ce temps de cerveau libéré, qu’allons-nous en faire ?Première partie : LE PLUS PRECIEUX DE TOUS LES TRESORS
. Les êtres humains libérés
Aujourd’hui, en France, le temps de travail représente 11% du temps éveillé sur toute une vie alors qu’il représentait 48% de ce temps en 1800 !Chaque Français bénéficierait ainsi de l’équivalent de près de quatre cents esclaves énergétiques tandis qu’en moyenne, chaque humain aurait l’équivalent de deux cents de ces esclaves à son service !
. Une autre histoire de l’humanité
Homo sapiens, i.e. l’être humain tel que nous le connaissons aujourd’hui, est apparu il y a environ 300 000 ans.
Au cours des trois derniers siècles, toutes les étapes ont été franchies qui ont conduit l’humanité du stade de la soumission à son environnement à celui de la domination.
. 11 mai 1997
L’attention pour cette revanche entre Kasparov et Deep Blue fut mondiale…La bataille s’acheva sur la défaite historique du champion des humains contre celui des machines.
. La guerre éclair des ordinateurs
(loi de Moore) En raison du caractère géométrique du développement de cette technologie, nous avons du mal à anticiper mentalement l’étendue de son arborescence. Une chose est certaine : elle prolonge le grand mouvement d’externalisation de tous nos gestes par les machines entamé par la première révolution industrielle.
. Externalisation
Ce ne sont d’ailleurs pas tant des métiers qui vont disparaître qu’un type de tâches exécutées par les humains. Quelles sont-elles ? Endurance, précision, mémoire, gestion de ressources financières, maintenance des technologies, lecture, calcul, contrôle qualité, coordination, monitoring, etc. En somme, toutes les tâches qui ont un caractère répétitif et peuvent être algorithmisées.
Les intelligences artificielles sont des prothèses pour l’humanité, des prothèses essentielles compte tenu des handicaps physiques et cognitifs qui caractérisent notre espèce, mais pas beaucoup plus.
. Un trésor inestimable
Il y a de plus en plus de temps de cerveau disponible…il représente environ cinq heures quotidiennes.
Les sociétés modernes sont caractérisées par une augmentation géométrique du temps de cerveau disponible.
. Jusqu’ici, tout va bien
Entre 1881 et aujourd’hui, l’espérance de scolarisation a plus que doublé, passant de huit ans à plus de dix-huit ans de nos jours.
. A dormir debout
Les Français adultes dorment désormais 6 h 42 par nuit les jours de semaine, soit moins que les 7 heures préconisées pour une bonne récupération.
Les perturbations du sommeil entraînent celles des capacités d’apprentissage et d’une façon générale de nos compétences et de nos potentialités intellectuelles dans notre vie de tous les jours.
L’omniprésence des équipements de loisirs : télévision, tablette, smartphone, ordinateur, sollicite de façon de plus en plus envahissante et addictive notre temps de cerveau disponible, et en particulier celui des adolescents.
L’empire de ces sollicitations cognitives s’est progressivement étendu, au point qu’on a créé un néologisme pour désigner cette peur de rater quelque chose : la Fomo (fear of missing out).
. Lorsque tu regardes ton écran, ton écran te regarde
Les écrans…sont devenus des monstres attentionnels. Ils dévorent notre temps de cerveau disponible plus que n’importe quel autre objet présent dans notre univers.
La citadelle de notre disponibilité mentale est donc poreuse, elle fuit même de toute part.
Ces limites de notre cerveau permettent d’évaluer la valeur de ce trésor si précieux pour l’humanité mais aussi la façon dont nous risquons d’en user…Allons-nous…flamber ce capital attentionnel au casino de l’attention ?
Deuxième partie : TANT DE CERVEAUX DISPONIBLES !
. Un « effet cocktail » mondial
Depuis 2013, la masse d’informations disponibles double tous les deux ans…Autre proportion frappante : 90% des informations disponibles dans le monde ont été rédigées dans les deux dernières années.. Cacher ce sein…
Entre toutes les informations capables de capturer notre attention dans le brouhaha informationnel qu’est devenu notre monde contemporain, la sexualité est une très bonne candidate.
Ces vidéos pornographiques sont celles qui sont le plus consommées sur Internet. On dénombre des dizaines de milliers de sites qui diffusent massivement ce type de films. Plus d’un tiers de vidéos regardées chaque jour sont des produits pornographiques.
. La peur au ventre
L’information qui prétend nous alerter d’un danger nous attire irrésistiblement. Or, celle-ci est produite en quantité industrielle dans le monde contemporain.
Les arguments de la peur sont beaucup plus aisés à produire et rapides à diffuser que ceux qui permettent de renouer les fils d’une confiance si nécessaire à la vie démocratique.
Cette cacophonie cognitive nous fait prendre encore un autre risque : celui de la paralysie de l’action…La peur s’est donc emparée d’une partie de ce précieux trésor qu’est notre disponibilité mentale. Elle nous tient au ventre et plonge notre esprit dans des ensembles de données partielles et trompeuses qui font de nous des hypocondriaques permanents et nous font regarder vers l’avenir avec, comme seul horizon parfois, la terreur et la crainte d’une fin du monde prochaine.
. La lutte des clashs
Les coalitions sociales et les mécanismes affiliatifs sont profondément inscrits dans notre nature.
De même que le sexe et la peur, la colère sera donc un bon support émotionnel pour conférer une certaine vitalité à un produit cognitif.
(Anonymat) Un sondage réalisé aux USA indique qu’un quart des internautes intervient sur des forums ou sur les réseaux sociaux sous une fausse identité.
L’indignation est un feu et les réseaux sociaux sont comme de l’essence.
L’hyper-conséquentialisme nous met en examen de façon permanente.
Cette sensibilité exacerbée du marché cognitif à la conflictualité crée des attitudes opportunistes, i.e. une tentation pour certains acteurs de jouer de la culture du conflit pour se faire remarquer.
Cette lutte des clashs est donc surtout celle des rendez-vous manqués. De longs moments de vide, mais qui offrent l’avantage, pour chacun des protagonistes, de raconter sa propre histoire.
Dans les espaces sociaux que sont les forums, la demande de conflictualité peut devenir hyperbolique par accoutumance, conduire ainsi à une perte de sens moral ordinaire, accentuant l’intensité des agressions numériques.
. Self sévices
Le destin d’un grand nombre de lieux de la planète a été modifié parce que le paysage qu’ils offrent est devenu viral sur les réseaux sociaux.
Il y a dans notre nature profonde une disposition à la compétition généralisée pour attirer l’attention de nos congénères…Notre niveau de satisfaction est donc directement dépendant de processus de comparaison ininterrompue dans notre vie sociale.
La passion pour la micro-notoriété s’est répandue le long des canaux des réseaux sociaux et, avec elle, son cortège de frustrations.
Révélation
59% des personnes qui partagent des articles sur les réseaux sociaux n’ont lu que les titres et rien de leurs contenus.
Le monde contemporain, tel qu’il se dévoile par la dérégulation du marché cognitif, offre une révélation fondamentale -i.e. une apocalypsis- pour comprendre notre situation et ce qu’il risque de nous arriver.
Cette appétence, dont nous avons vu certains des aspects les plus saillants : sexualité, conflictualité, peur, incomplétude cognitive, informations égocentrées, est comme du sucre pour notre cerveau.
Prendre ou ne pas prendre conscience que l’utilisation de notre trésor attentionnel est la question la plus politique et la plus déterminante qui soit.
Editorialiser le monde
Editorialiser le monde, i.e. focaliser son attention sur tel élément du réel plutôt que tel autre, proposer un ordre d’importance entre ces éléments : lier ces éléments en leur donnant un sens narratif et éventuellement les interpréter en fonction de la catégorie du bien et du mal, est une dimension incontournable de tout discours sur le monde.
Le fait est que les médias conventionnels ont développé massivement une culture du clic pour survivre…On constate que le marché cognitif est animé par des effets de concentration d’attention brefs, soudains et gigantesques.
La vérité ne se défend pas toute seule
La crédulité propose une éditorialisation du monde permettant de relier les faits par des récits favorisant les pentes intuitives et parfois douteuses de notre esprit…le faux se diffuse plus vite, plus largement et plus profondément que le vrai.
L’affirmation envahissante de la crédulité parachève l’apocalypse cognitive que nous connaissons et qui est, encore une fois, la révélation simple et fondamentale de ce que nous sommes et que nous avons souvent cherché à nier.
Troisième partie : L’AVENIR NE DURE PAS SI LONGTEMPS
Prendre ses désirs pour des réalités est compréhensible, il s’agit précisément d’un invariant cognitif de l’espèce mais cela ne nous protège que provisoirement de la sanction du réel.
. Le goût des nôtres
L’offre télévisuelle a ainsi longtemps été drastiquement régulée. Dès lors que la pression étatique s’est relâchée, on a observé ce que l’on observe toujours : un dévoilement de nos appétits les plus immédiats.
Partout, l’éditorialisation de l’information est contaminée par l’anticipation de la demande dès lors que la pression concurrentielle augmente : moins de traitement de fond, plus de divertissements, mise en scène de conflit de personnalités avec la convocation d’éditorialistes aux positions tranchées et opposées.
La peopolisation du monde politique constitue bien l’une des facettes de l’apocalypse cognitive.
Ce qui impose un produit cognitif…ce n’est pas la qualité de son contenu, c’est qu’il réponde à un certain nombre d’attentes constantes et immédiates de notre esprit…Ce n’est pas la qualité de l’information qui lui assure une bonne diffusion mais plutôt la satisfaction cognitive qu’elle procure.
. L’homme dénaturé
La sphère économique s’est emparée des biens culturels pour en faire des produits de marché.
L’idée selon laquelle la concentration capitalistique qui caractérise le milieu médiatique serait la preuve de la subordination des journalistes à ceux qui possèdent les entreprises dans lesquelles ils travaillent est séduisante, mais faible.
. Le prix à payer
Cette sanction du réel, toutes les utopies en ont fait les frais.
Les échecs de ces utopies concrètes sont très nombreux et lorsqu’on examine sereinement les arguments de ceux qui les ont vécues, ils se ressemblent toujours.
. Mensonge privé, vérité publique
Les individus sont souvent des acteurs stratégiques qui tentent de concilier leurs intérêts matériels et symboliques. Ils affichent parfois dans le discours une vertu qu’ils malmènent au jour le jour…pour le dire plus crûment : en France, les gens affirment adorer Arte mais regardent TF1.
. Les néo-populismes
La démagogie cognitive est le processus intellectuel idéal pour conduire un individu de la frustration au populisme.
L’idée est de se servir des réseaux sociaux pour parler directement au « peuple » et enjamber les intermédiaires traditionnels qu’étaient les partis, les syndicats ou encore les médias…Cette volonté de faire disparaître les intermédiaires et la régulation donne sa toute-puissance à la démagogie cognitive.
. La bataille des récits
De la nature des récits qui s’imposeront à nos esprits dépendra la façon dont nous userons du plus précieux de tous les trésors, notre temps de cerveau disponible.
Conclusion : LA LUTTE FINALE
En fluidifiant les relations entre l’offre et la demande, la dérégulation du marché cognitif nous abandonne à des boucles addictives profondément enracinées dans notre nature. Et nous ne sommes peut-être qu’au début du processus.Devrons-nous nous satisfaire de ce que le temps de cerveau libéré par l’externalisation des tâches algorithmiques soit préempté par les plaisirs offerts d’un monde alternatif et chimérique ?
La situation d’apocalypse cognitive correspond logiquement au moment où les systèmes sociaux les plus libres promeuvent la désintermédiation sociale.. Ce faisant, elle voit se reporter par un simple effet de transition les carences individuelles au niveau collectif. La tentation du court-termisme, par exemple, qui pèse si bien sur notre cerveau, peut facilement devenir une caractéristique de la décision collective. Plus symptomatique encore est l’aveuglement fréquent aux conséquences secondaires de nos actions.
Seules les institutions qui savent capitaliser sur leurs erreurs parviennent à survivre et à progresser. C’est vrai aussi pour les entreprises, puisque celles qui se montrent obnubilées par leurs résultats trimestriels connaissent un taux de croissance à long terme beaucoup plus faible que celles qui ont des stratégies de plus long terme.
Nous sommes cependant la seule espèce à être capable de penser notre destin avec une telle profondeur temporelle, la seule à pouvoir prendre en compte les conséquences primaires et secondaires de nos actions. Il nous reste seulement à réaliser toute notre potentialité.
Le chemin des estives de Charles Wright - Flammarion
Émetteur du florilège: François C.
En ces temps d’extinction de la foi, je faisais partie des derniers fidèles du Galiléen. J’appartenais à la réserve d’indiens. L’Occident traversait une nuit mystique, un sommeil de l’âme, moi je restais ébloui par la lumière qui irradiait de ce roi paradoxalement monté non pas sur un destrier mais sur un ânon, cet homme solaire et doux qui bénissait les enfants, s’agenouillait devant les prostituées et donnait le baiser au lépreux.La marche est un grand dispensateur d’émerveillement…Décidément, le Massif central était la solution. J’ai senti qu’il me serait bon de revoir ce coin de France, et je suis parti sur le chemin des estives.
Vagabonds, mendiants, voyageurs sans bagage, nous allons expérimenter une vie sans appui avec, pour seule fortune, l’heure présente, le bel aujourd’hui.
Je me sens orphelin d’un monde disparu, englouti. Tout ce à quoi je tiens le plus est submergé par l’énorme vague de la modernité en marche : la culture de l’intériorité, le silence, la gratuité, la lenteur, le sens de la nuance, de la mémoire et de la profondeur historique. Le christianisme devient une nostalgie, les familles s’effilochent, l’amour ne dure plus que deux ans…L’époque a besoin d’hommes de silence, de solitude et de prière.
Charles de Foucauld traçait un autre chemin. Je crois qu’il sentait qu’il est impossible à une institution ou à un homme de connaître la gloire sans méfait pour son âme, et que les échecs sont finalement ce qu’il y a de plus intéressant et fécond dans nos vies.
Cette rencontre furtive, je l’ai vécue comme une annonciation. Le frôlement d’une aile d’ange. Dans l’Orient chrétien, les anciens de ce genre, on les appelle des « beaux vieillards ». Arrivés au bout de leur pèlerinage, ils sont en paix, réconciliés avec la mort, et dégagent une joie contagieuse et lumineuse qui semble réverbérer la lumière divine. De tels êtres de bénédiction font surgir la possibilité d’un royaume derrière le voile opaque.
Ce dîner est une félicité. Nos hôtes, que les peines de la vie n’ont pas épargnées, me touchent. Humbles, discrets, prévenants, altruistes, droits, ils incarnent les « vertus communes » chantées par Carlo Ossola, ces vertus d’adoucissement qui mettent de l’huile dans la vie quotidienne, et atténuent, l’air de rien, la dureté de vivre.
Enfin, je respirais, je pouvais aimer. Je découvrais qu’il existait en moi des immensités où il n’y avait pas de limites, un continent où ruisselait l’espérance, une lumière qui ne faiblissait pas et une vie sans déclin.
Je commence à trouver que cette sobriété est féconde, libératrice même, qu’on peut vivre intensément avec peu, qu’au fond, les biens nous ligotent, nous encombrent, et que si elle existe, la joie vient plus par le déblaiement, l’allégement que par l’accumulation.
J’ai compris qu’il s’en fallait de peu pour que nous rejoignions un jour ces hommes en miettes, ces naufragés, ces déchus : un accident, une rupture, et c’est la dégringolade. Personne n’est à l’abri de tomber dans ces lisières de l’humanité.
Le christianisme est joie, jubilation, allégresse, c’est une religion solaire…Comment en serait-il autrement ? Quand on sait que le néant n’a pas le dernier mot, on est gagné par une franche gaieté et une folle envie de danser…
Dans L’Identité de la France, Braudel explique que l’identité d’un pays est le résidu, l’amalgame de ce que le passé a déposé par couches successives. Ici, cette pâte historique est tangible, on respire le temps. Le moindre hameau a sa chapelle du XIIème siècle. On ne peut pas faire un pas sans buter sur un vestige. Le Limousin est une coupe géologique qui met au jour les strates de l’histoire, ses sédimentations, sa profondeur.
En une heure, l’air de rien, Liliane et Jean nous ont confié ce qu’ils ont de plus profond, ce qui les fait vivre. Un concentré de vie. En les embrassant sur le pas de la porte, je me dis que le voyage est un exhausseur d’émotions. Il accroît l’intensité des expériences. Sur la route, joies, tristesses, détresses, tout est haussé d’un ton.
Sans fin, des mots arrivent comme si l’on avait désensablé une source, ils jaillissent dans un véritable chaos. La marche fait venir à l’esprit ces bribes étranges. Les moralistes français ont raison de dire qu’il y a de l’arbitraire à construire des systèmes ordonnés, achevés : le vrai mode de la pensée est le discontinu, le fragmentaire, le non-linéaire.
Le monde s’illumine. On s’aperçoit qu’autour de nous, c’est un festin de lumière, de beauté, une profusion de formes, de saveurs, de couleurs. Tout est là, donné en abondance, il suffit de cultiver une attention aimante, une fraîcheur de regard, et de se servir.
A nous qui sommes empressés de trouver la paix, il est bon de se souvenir que le saint du Sahara, Charles de Foucauld, n’a atteint ces contrées qu’au terme d’un long chemin. Il faut du temps à la grâce pour investir un homme et assouplir son cœur…
Depuis toujours, les forêts attirent les esprits frondeurs. Ces marges végétales sont le refuge des proscrits, des amants, des inadaptés, des fous, des saints. J’ai de la sympathie pour ces adeptes de la fuga mundi, qui disent zut à la société et mettent entre eux et les sommations du moment l’écran d’une futaie.
Le christianisme a peut-être déserté les cœurs, mais il continue de quadriller l’espace : des calvaires en pierre de volcan coiffent chaque carrefour.
Les feux du puy de Sancy et du plomb du Cantal étaient éteints depuis belle lurette lorsque de violentes convulsions soulevèrent le vieux plateau hercynien, qui avait besoin d’un coup de jeune après des millénaires d’érosion. L’activité souterraine piqua la surface d’une multitude de buttes, de cônes, de dômes, de pitons, et de soupiraux. Une suite de quatre-vingts volcans alignés du nord au sud, à l’ouest de Clermont-Ferrand et du plateau de la Limagne, prirent position.
La basilique d’Orcival nous prévient d’emblée : elle ne livrera ses charmes que si l’on accepte d’entrer dans une attitude de dépossession, de renoncement à l’esprit propriétaire. Se dessaisir de soi pour s’ouvrir à autre chose.
On nous a appris qu’il fallait à tout prix laisser une trace, imposer sa présence, conquérir de positions. Ici, nous renouons plutôt avec la sagesse des Indiens, des sages et des ermites : ne pas peser, s’effacer, poser le pied le plus légèrement possible sur la terre. Et puis savoir se retirer, comme le font toutes les majestés dignes de ce nom : la mer, le soleil, la lune.
Le Christ a raison : les oiseaux du ciel et les fleurs des champs sont des maîtres. Comme eux, la seule chose à faire en ces circonstances est de s’abandonner. S’offrir totalement et amoureusement aux événements qui nous adviennent, qu’ils soient heureux ou plus malheureux, comme un petit trou dans une chaussure…
Mais enfin, force est d’admettre que notre pauvreté nous oblige à tirer de nous-mêmes des richesses que nous ne soupçonnions pas : de la créativité, du courage, de la résistance physique et psychique. Les mousquetaires avaient compris cela. « On est brave parce qu’on n’a rien », s’exclamait d’Artagnan dans Le Vicomte de Bragelonne.
Et puis, à l’image de Teilhard de Chardin, de Pierre Ceyrac ou de Michel de Certeau, les jésuites sont des explorateurs de terres vierges. Des arpenteurs des frontières. Ces aventuriers n’ont pas peur de faire le mur, et de frayer dans les périphéries de l’Eglise, là où personne n’a envie d’aller.
Cette chaleur accablante nous rappelle que la Planèze, comme tout le Massif central, est un incendie éteint. Ici, le blé pousse sur la pierre ponce, le foin germe sur le basalte et nous marchons sur de la lave pétrifiée. Les volcans se sont endormis il y a longtemps, mais on a l’impression que les vallées fument encore…
La divine rencontre de ce matin contient un enseignement : les choses arrivent quand on ne les cherche plus. Lorsqu’on se détend, qu’on ouvre la main, tout s’ouvre, on reçoit en abondance !
Une fois encore, l’auteur de L’Imitation a raison : les possessions matérielles ne « sont autre chose qu’une source d’incertitudes, parce qu’on ne les possède jamais sans crainte ni souci. »
Il me plaît que le Christ ait accueilli Marie-Madeleine dans son amitié, et que l’Eglise l’ait élevée à la dignité d’une sainte. Dans le christianisme, quel que soit son passé, chacun garde jusqu’à la fin ses droits à la lumière, rien n’est jamais perdu.
Nous avons été dépossédés du désert. La connexion, la congestion et l’accélération enserrent nos existences jusqu’à l’étouffement et conspirent contre toute vie intérieure. Dans cette France harassée par la vitesse, le bruit, les machineries et les statistiques, le Massif central est l’une des dernières enclaves de silence et de liberté. Un ermitage à ciel ouvert. Une réserve d’intériorité.
Le meilleur dans un voyage, ce n’est pas l’arrivée, c’est le chemin, l’effort, la tension vers le cap. Tout ce qui est réalisé est détruit.
L’existence consiste à accorder les vérités multiples dont nous sommes tissés, non à amputer telle ou telle partie de sa personnalité au profit d’une autre. Il faut sortir de la mentalité cartésienne et de nos catégories qui ont toujours tendance à être rigides : ce qui est blanc ne peut pas être noir. La vérité est plus ample qu’on l’imagine.
On s’imagine que le France est fatiguée, engourdie, appesantie, mais derrière la moindre porte des villages, il y a un réservoir de vie et des ressources à foison. Il faut se méfier de ce qui a l’air éteint ; parfois le feu couve sous la cendre.
La déambulation sous ces toits de verdure est un émerveillement perpétuel de l’œil. L’air est pur. Le vent fait danser les arbres dont le vert vif éclate à la figure. Les hêtres et les sapins se tiennent droit. Leur taille, qui défie l’entendement, est le résultat d’une conquête. Pour jaillir ainsi vers le ciel, il a fallu que ces vieux fûts laissent tomber beaucoup de branches gourmandes. Rien de grand ne s’obtient sans hersage, nous disent ces arbres vénérables.
En notant une pensée, une émotion, une sensation avant que l’oubli ne les submerge, les gâcheurs d’encre tentent de conjurer la fuite du temps. Les contemplatifs, eux, marquent les heures de la journée par leurs prières. C’est une autre façon de lutter contre l’absurdité de cet écoulement. Surtout ne pas laisser le néant avoir le dernier mot…
Alors, oui, le voyage continue. « Jamais arrière », disait Foucauld. « En avant, route ! » répliquait son frérot, Rimbaud. Allons droit devant, tendus vers l’invisible. En continuant d’espérer, malgré le désespoir et les peines, que nous sommes faits pour la fête et la joie sans ombre, et que la terre promise est devant nous.
L'art de la niaque d'Angela Duckworth - JC Lattès
Émetteur du florilège: François C.
I CE QUE J’ENTENDS PAR « NIAQUE « ET SON IMPACT
Répondre présent à l’appel
C’est malgré tout la niaque qui explique qu’entre deux individus au profil identique l’un réussira mieux que l’autre. En dehors des dispositions qui favorisent le succès dans tel ou tel domaine, c’est la niaque qui compte le plus.
Egaré par les prédispositions
Notre ambivalence entre les prédispositions et la persévérance. Ce qui compte le plus selon nos dires ne colle pas forcément avec ce que nous tenons en réalité pour le plus important.
A trop se focaliser sur les prédispositions, on oublie l’importance, au moins égale, des efforts.
Les efforts comptent double
Talents x efforts = compétences
Compétences x efforts = réussite
Beaucoup baissent les bras trop tôt et trop souvent. La résolution à rester dans la course jour après jour compte plus encore que les efforts fournis.
On naît avec ou sans talent. Mais les compétences, on les acquiert en passant des heures et des heures à remettre son ouvrage sur le métier.
Avez-vous la niaque ?
L’échelle de la niaque.
La tendance générale des scores de persévérance à dépasser ceux de passion montre que ces deux notions ne se recoupent pas tout à fait.
La pugnacité se caractérise par la poursuite fidèle d’un objectif suprême à long terme…Plus notre hiérarchie d’objectifs est cohérente, mieux cela vaut.
Plus les objectifs s’intègrent à une hiérarchie -plus ils concourent à un but ultime- moins on se disperse.
« Persistance dans la motivation » : ses caractéristiques :
La capacité à œuvrer en vue d’objectifs lointains (par opposition à la tendance à vivre au jour le jour), à se préparer activement à l’avenir, à travailler pour atteindre un but précis.
La propension à ne pas abandonner une tâche pour le simple plaisir d’en varier, à ne pas rechercher la nouveauté en tant que telle, à ne pas vouloir à tout prix « changer d’air ».
Le degré de force de volonté ou de persévérance. La détermination sereine à s’en tenir à une trajectoire établie.
La tendance à ne pas renoncer face aux obstacles. La ténacité, la pugnacité.
La niaque, ça se cultive
La niaque se consolide au fur et à mesure qu’on se forge une philosophie de la vie et qu’on apprend à rebondir après un échec ou à prioriser ses objectifs.
Avec de la chance, vous avez déjà un centre d’intérêt durable, le goût des défis à relever, la conviction de faire œuvre utile et une confiance sans faille dans votre capacité à rebondir, qu’aucun coup dur ne saurait entamer.
II. DEVELOPPER LA NIAQUE DE L’INTERIEUR
L’intérêt
Sur l’ensemble de la planète, seuls 13% des adultes s’estiment « impliqués » dans leur travail.
Une passion résulte de la découverte d’un centre d’intérêt qu’on alimente, puis approfondit peu à peu.
On ne définit pas ses centres d’intérêt en méditant, mais en se jetant à l’eau.
Un centre d’intérêt qui prend forme manque de précision et de solidité. Il est impératif de la cultiver énergiquement des années durant.
Des études au long cours confirment que plus on a la niaque, moins on change d’orientation au fil de sa carrière.
La pratique
Les meilleurs…substituent à leur incompétence consciente une compétence inconsciente.
Les plus pugnaces consacrent plus de temps à la pratique réflexive et vivent aussi plus d’expériences-flux…La pratique réflexive correspond à une phase de préparation et le flux à la performance.
Le point commun entre tous ces génies du passé : ils s’en tenaient tous à un rituel quotidien et consacraient des heures à la pratique réflexive en solitaire, fidèles à leur routine.
Faire œuvre utile
Il est plus facile de convertir en passion une activité qui capte l’intérêt tout en donnant le sentiment de servir les autres, de contribuer à leur bien-être.
Bill Damon ne connaît personne qui se soit affermi dans sa volonté de se rendre utile sans un exemple dont s’inspirer.
L’espoir
L’espoir des pugnaces ne tient pas à un destin favorable mais à la faculté de se relever après chaque chute.
D’autres expériences ont montré que souffrir sans rien pouvoir y faire se traduit par des symptômes cliniques de dépression – troubles de l’appétit, du sommeil, de la concentration et de l’activité physique.
Tant qu’on persiste à chercher le moyen d’améliorer son sort, on garde une chance de le trouver. Quand on y renonce en revanche en postulant qu’il n’y en a pas, on peut être sûr de ne jamais le découvrir.
Cultiver la niaque suppose d’admettre que chacun peut s’améliorer -progresser et mûrir.
III. DEVELOPPER LA NIAQUE DE L’EXTERIEUR
Le rôle d’un parent
Soutien et exigences : éducation avisée
Soutien et peu d’exigences : éducation permissive
Indifférence et exigences : éducation autoritaire
Indifférence et peu d’exigences : éducation négligente
Les terrains de jeu de la niaque
Les activités extra-scolaires contribuent au succès et à l’épanouissement personnel.
« L’esprit de suivi » dépend de la volonté de s’impliquer à long terme dans certaines activités (par contraste avec des incursions sporadiques dans toute une variété de domaines).
Une attirance réciproque entre traits de caractère et situations. Les penchants qui nous guident vers certaines situations sortent de celles-ci renforcés voire amplifiés -ce qui donne lieu à des cercles aussi bien vicieux que vertueux.
Notre famille s’est imposé la règle de « ce qui donne du fil à retordre ». Chacun à la maison se consacre à quelque chose qui lui donne du fil à retordre (qui fasse l’objet d’une pratique réflexive au quotidien).
La culture de la niaque
La culture dans laquelle on évolue et à laquelle on s’identifie façonne consciemment ou non à peu près toutes les facettes de la personnalité.
Si vous voulez devenir plus pugnace, identifiez une culture qui valorise la pugnacité et adoptez-la.
Les Finlandais s’appuient sur ce qu’ils appellent « sisu » : un mélange de bravoure et de courage, de ténacité et de combativité.
Conclusion
Notre performance au marathon de la vie dépend en grande partie de notre pugnacité -de notre passion et de notre persévérance à la poursuite d’objectifs à long terme.
J’ai mis en évidence trois facettes de la personnalité où la pugnacité entre en jeu. Je les qualifie de dimensions individuelle, interpersonnelle et intellectuelle de la personnalité. On pourrait aussi parler de force de volonté, de cœur et d’esprit.
CITATIONS
Woody Allen 80% de la réussite dans la vie repose sur le simple fait de répondre présent à l’appel.
Anson Des gens doués, on en trouve à la pelle ; c’est grâce à l’énergie qu’on dépense pour exploiter son potentiel qu’on sort du lot.
Cadet (West Point) Vous devez repousser vos limites à tous les niveaux -mental, physique, militaire et social. Les défis qui surgissent mettent en évidence vos failles mais c’est le but recherché. West Point vous endurcit.
Pete Carroll Une direction claire vous oriente et vous fixe des garde-fous qui vous maintiennent sur la bonne voie.
Il faut savoir où l’on va pour suivre le bon chemin mais c’est encore l’entêtement à poursuivre un objectif qui donne le plus de chances de l’atteindre.
Dan Chambliss Les performances exceptionnelles résultent de dizaines d’actions qui supposent d’appliquer des compétences n’ayant rien d’extraordinaire en elles-mêmes. Seule leur répétition sur le long terme et le soin apporté à leur pratique mènent à l’excellence.
Cody Il n’y a pas que les parents qui influent sur le destin d’un enfant. Pour exercer un impact sur un jeune, il suffit de se soucier de lui et de comprendre ce qui lui arrive pour l’aider à s’en sortir. J’au eu la chance qu’on s’occupe de moi et ça a fait toute la différence.
Bill Damon Projetez-vous dans quinze ans. A votre avis, qu’est-ce qui comptera le plus à vos yeux ? Pourriez-vous citer quelqu’un dont le parcours vous incite à devenir meilleur ? Qui ? Pourquoi ?
Darwin J’ai toujours maintenu que, les imbéciles mis à part, les hommes diffèrent peu par leur intellect mais plus par leur ténacité et leur capacité de travail, or je reste convaincu de l’importance cruciale d’une telle différence.
Jane Je suis comme l’artiste qui, chaque matin, distingue dans le ciel toute une variété de couleurs là où d’autres ne voient que du gris ou du bleu. Je perçois une palette de nuances d’une infinie richesse ; un tableau en évolution constante.
Hester Lacey Leur désir de se surpasser leur interdit la moindre complaisance envers eux-mêmes. Ils cultivent un état d’esprit positif : ils ne reviennent pas sur le passé pour ruminer leur insatisfaction mais se focalisent sur l’avenir, mus par l’ambition de progresser.
Nietzsche Ceux qui accomplissent de grandes choses se concentrent sur leur objectif, font feu de tout bois, prêtent une extrême attention à leur vie intérieure et à celle des autres, voient partout des sources d’inspiration et ne se lassent pas un instant de mobiliser les moyens dont ils disposent.
Ce qui ne me tue pas me rend plus fort.
G B Shaw La véritable joie que nous réserve la vie, c’est d’être une force de la nature plutôt qu’un petit ramassis égoïste de contrariétés occupé à se plaindre que tout le monde ne s’occupe pas de son bonhe.
L'Octopus et moi d'Erin Hortle - Dalva
Coup de cœur de Doriane B. : Se plonger dans L’Octopus et moi, c’est être témoin d’une rencontre inattendue entre une femme abîmée et une pieuvre ; c’est embarquer pour la Tasmanie à la découverte de ses paysages envoûtants et de ceux qui les peuplent. C’est un récit polyphonique aux voix insoupçonnées et insoupçonnables. Un «nature writing» au féminin, et même plus, écoféministe. Lucy, en rémission suite à un cancer du sein, tente de reprendre sa vie comme elle peut après sa chirurgie reconstructive. Mais ce n’est pas si simple… Et puis, il y a LA rencontre, cette nuit où tout bascule. Va alors s’entamer pour Lucy un chemin de croix vers la (re)conquête de soi, de son corps et son rapport intime avec celui-ci.
C’est l’histoire de rencontres, l’histoire des bouleversements intimes, des contradictions des humains et leur rapport avec la nature, les animaux. Plus qu’un roman, Erin Hortle nous propose une «expérience». Comme moi, laissez-vous happer par celle-ci, emporter par la vague jusque dans les profondeurs de cette lecture unique et mémorable. Vous ne le regretterez pas! Ce roman est l’un des premiers publié par la toute jeune maison d’éditions Dalva, qui a la particularité, et pas des moindres, de ne publier que des autrices.
Très bon livre à découvrir à l’occasion de l’octobre rose 2021.
TYRANS D’AFRIQUE - Les mystères du despotisme postcolonial de Vincent HUGEUX - Perrin
Émetteur du florilège: François C.
1 Jean-Bedel BOKASSA (1921-1996), un Ubu bien de chez nous (Centrafrique)
Capitaine énergique, mais piètre intendant, l’impérieux général, entouré de courtisans cupides, tend à gérer le pays comme sa propriété privée. Au fil des mois, son domaine de Bobangui prend d’ailleurs des allures de conglomérat agro-industriel. «Il est malheureusement affligé d’une méfiance maladive et d’une évidente mauvaise foi. Mégalomane, cyclothymique, trop facilement irritable et emporté, violent, tyrannique, autocrate, terrorisant son entourage, ses excès le rendent difficilement supportable.» (1976) le miraculé (il a échappé à un attentat à la grenade) abjure le christianisme et embrasse l’islam. Adieu Jean-Bedel, bienvenue Salah Eddine Ahmed Bokassa, Guide de la révolution centrafricaine. Ministres, parents, enfants, tous sont sommés de lui emboîter le pas, quitte à troquer le costard contre la djellaba. Au jeu de la collecte de fonds, Bokassa ne manque pas de répondant. Il ponctionne les caisses de l’État, assèche les réserves de la Sécurité sociale, rackette les sociétés étrangères, soumises au besoin à un chantage fiscal, ainsi que les commerçants libanais, français ou portugais. Reste enfin à garder son sérieux quand, au terme d’un rituel longuet, le même aboyeur prie l’assemblée de faire place au bonapartolâtre fraîchement couronné, «Empereur du berceau des Bantous, Empereur de Centrafrique, Père incontesté de l’Empire, de la réunification et -sic- de la décomplexation». Sur le trône, les nuages s’amoncellent. Au sommet franco-africain de Kigali, en mai 1979, le président Giscard d’Estaing évite ostensiblement le parent indigne, que snobent à l’unisson ses pairs continentaux, tels le Sénégalais Senghor et l’Ivoirien Houphouët-Boigny. Trois mois plus tard, Paris lui coupe les vivres et le somme d’abdiquer au profit d’un conseil de régence, lui offrant en contrepartie la garantie de lui laisser couler une retraite dorée dans l’un de ses châteaux. Sauf erreur ou omission, le mari jaloux aura convolé avec 17 épouses et reconnu 54 filles et fils. Dont 36 héritiers couchés sur l’acte notarié établi en 2017, quand vient l’heure de partager le reliquat d’un pactole peau de chagrin. (Procès de 1986) Quatorze chefs d’inculpation retenus: assassinats, complicité d’assassinats, anthropophagie, empoisonnements, recel de cadavres, arrestations et séquestrations arbitraires, violences et voies de fait, coups et blessures sur enfants ayant entraîné la mort sans intention de la donner, détournement de deniers publics, de biens meubles et immeubles de l’État, atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’État, intelligence avec une puissance étrangère, trahison.
2 IDI AMIN DADA (1925 – 2003), l’ogre de Kampala (Ouganda)
Fût-ce dans sa version expurgée, l’exercice fige à jamais les traits du Janus ougandais, moitié clown tragique, moitié massacreur…Huit années durant, entre 1971 et 1979, le maréchal-président à vie Idi Amin Dada a asservi sa patrie avec une cruauté glaçante. Laissant dans son sinistre sillage, selon les décomptes, de 300 000 à un demi-million de cadavres, 200 000 veuves et 800 000 orphelins. Bilan d’autant plus effarant que l’Ouganda compte alors moins de 10 millions d’habitants. En 1964, le Premier ministre Obote et le chef d’état-major adjoint Amin Dada forment un robuste tandem, soudé jusque dans la transgression. Ils trempent l’un et l’autre dans un juteux trafic, livrant des armes aux insurgés congolais Simba, en contrepartie de cargaisons d’or, d’ivoire ou de café. Ce qui leur vaut le surnom de «jumeaux à la poudre d’or». Bientôt, le catalogue de la barbarie s’enrichit d’une atrocité promise à un grand avenir: contraindre des captifs à battre à mort tel ou tel de leurs codétenus. Un ouvrage entier ne suffirait pas à recenser les rodomontades du Narcisse ventru, mégalomane au dernier degré…Bien avant le Zimbabwéen Robert Mugabe, Big Daddy revendique le surnom infamant de «Hitler noir». Une guerre suicidaire avec la Tanzanie, épilogue de la fuite en avant d’un régime aux abois, dont deux phénomènes concourent à saper l’assise à l’automne 1978: l’effondrement des cours du café et l’éclosion simultanée de plusieurs mutineries. Le banni s’éteint le 16 août 2003, à l’âge de 78 ans.
3 Gnassingbe EYADEMA (1935 – 2005), le tirailleur tiraillé (Togo)
À la tête du Togo trente-huit années durant (1963 à 2001), il fut et restera en terre d’Afrique le premier putschiste galonné de l’ère postcoloniale. Paris s’alarme de la dérive narcissique, voire du caporalisme «fascisant» du Timonier kabiyé, enclin à copier les pompes de la propagande nord-coréenne, embrigadement de masse compris, tout comme le culte de la personnalité dansé et chanté instauré par le grand frère Mobutu Sese Seko. À l’étroit dans son petit Togo, Eyadéma convoite très tôt un statut de «sage» appelé à prévenir ou à résoudre les conflits de voisinage qui déchirent le continent. En guise d’héritage, feu Gnassingbé Eyadéma laisse dans son sillage un pays exsangue, meurtri par des décennies de violence et d’arbitraire, rongé par une vénéneuse polarisation Nord-Sud.
4 MOBUTU (1930 – 1997) : la débâcle du léopard (République démocratique du Congo ex Zaïre)
De son ascension, météorique, à sa chute, vertigineuse, le parcours du «maréchal-président», maître trois décennies durant d’un pays-continent misérable aux richesses prodigieuses, si vaste qu’on pourrait y loger quatre fois la France ou quatre-vingt Belgique, raconte aussi les ambiguïtés et les perversités de l’aventure coloniale. Mobutu a-t-il ordonné l’assassinat de Lumumba ? Rien ne l’atteste. Mais il aurait pu l’empêcher et, en Ponce Pilate tropical, s’en est abstenu. Renvoyant dos à dos le capitalisme et le communisme, il prône le non-alignement et le «neutralisme actif», promettant une «révolution vraiment nationale, qui n’a rien à voir avec celles de Pékin, de Moscou ou de Cuba» et ne saurait être fondée «ni sur des théories toutes faites ni sur des doctrines empruntées». Soit. Mais elle se heurte toutefois à des écueils très prosaïques. À commencer par une inflation démente, estimée à 700% en rythme annuel. Le régime instaure alors un «national-paganisme» mâtiné de «césarisme tropical». Lui règne sans partage, à coups d’oukase et de caprice au besoin. La légende du despote pittoresque et paternel n’abuse guère les initiés. Lesquels se chuchotent des histoires de cadavres largués de nuit par hélico au fleuve ou à la mer et de lettres de dénonciation barrées de cette mention manuscrite: «Faire disparaître.» Dans un Zaïre où règnent le clientélisme, l’achat d’allégeances et le matabiche – pot-de-vin-, la probité est l’autre nom de la niaiserie. Dans la langue ngbandi, Mobutu signifie poussière. Peut-être l’enfant de Lisala doit-il son nom de naissance à la piété de «Mama Yemo», sa mère. «Tu es poussière, et tu retourneras à la poussière» (Genèse 3 : 19). Amen.
5 Robert MUGABE(1924 – 2019), messie et démon (Zimbabwe)
En dépit de l’âpreté des empoignades postcoloniales, il n’était écrit nulle part que les relations entre Londres et Harare glisseraient au fil des ans de la bienveillance à l’aigreur, puis de l’aigreur aux anathèmes, que Mugabe glapit d’une voix haut perchée en boxant l’air d’un poing hargneux, l’écume aux lèvres.
Une décennie de captivité a durci l’homme et trempé ses convictions : place au révolutionnaire intransigeant, allergique au compromis, adepte de la lutte armée et partisan de l’instauration d’un régime marxiste à parti unique.
Tout en Corée du nord envoûte l’ex-maquisard : la loyauté d’airain due à son parti et à son leader, l’implacable efficacité des instruments de propagande, les défilés militaires, les meetings de masse chorégraphiés avec un soin maniaque. Mais aussi cette aptitude à tuer dans l’œuf le moindre embryon de dissidence, à formater les esprits, à « rectifier », « corriger », « réorienter ».
L’ancien élève des jésuites ressort son lexique de boutefeu : haro sur les « vampires » et les « esclavagistes ». « Allons tuer ces serpents, les écraser jusqu’au dernier », vocifère-t-il.
Entre agriculture moribonde et industrie à l’agonie, chaque mois qui passe enfonce un peu plus le Zimbabwe dans le marasme et la récession.
6 Ahmed SEKOU TOURE (1922 – 1984), l’icône dévoyée (Guinée – Conakry)
La République gaullienne est mauvaise perdante. Sekou Touré nous a défiés ? Il va payer. Et la note sera salée. Au fond, l’insoumis de Conakry ne croit guère aux représailles. Elles seront implacables. Détaillées dans une note qui lui est adressée, les sanctions pleuvent dru. À l’entendre, Ahmed Sékou Touré a survécu à une dizaine de conspirations en treize ans. « Que partout le peuple dépèce, brûle, égorge tous ses ennemis, tous les agents de la cinquième colonne, tous ceux qui bafouent la nation guinéenne. Egorgez l’ennemi, brûlez le mercenaire et rendez compte ensuite.» Les courriers adressés à Son Excellence doivent mentionner explicitement une brochette de titres ronflants : Responsable Suprême de la Révolution, Fidèle et Suprême Serviteur du Peuple, Commandant Suprême des Forces armées révolutionnaires, Secrétaire Général du Parti démocratique de Guinée. Nulle allusion, en revanche, au calvaire des morts vivants de Boiro… Combien de suppliciés ont péri là, de faim, de soif, de maladie, d’épuisement ou sous les coups? La destinée d’une «Guinée où Sékou Touré était apparu comme celui qui entretenait la ferveur d’un messianisme marxisant», avant de se muer en un «pays où le pouvoir invente des complots afin de se consolider», de glisser vers la «prédation népotique», puis vers une «forme de totalitarisme tropical».
7 Issayas AFEWORKI 1946 - ?): les mythes de l’ermite (Erythrée)
Seul maître à bord de l’Erythrée depuis 1993…l’ancien maquisard ne règne plus que par la terreur sur une principauté de 5,2 millions d’âmes encasernées, nichée sur le flanc est de la Corne de l’Afrique, baignée par la mer Rouge et saignée par la fuite de sa jeunesse et de ses élites. L’échiquier de ce dingue-là n’a ni constitution ni parlement, mais un parti unique, un appareil sécuritaire orwellien et des bagnes à foison. Les dissidents ont le choix entre le silence, l’exil ou le cachot, fût-ce en lisière d’Asmara, une capitale qui donne si bien le change. Au géant communiste asiatique, l’Erythréen empruntera néanmoins le centralisme autoritaire, le caporalisme politique, les implacables séances d’autocritique et l’ultranationalisme ; en revanche, son adhésion au credo collectiviste n’aura qu’un temps. L’embellie perdure jusqu’en 1996. Au-delà, le vernis craque et le régime dévoile sa vraie nature, de purges en procès staliniens, de rafles en séances de tortures, d’exécutions nocturnes en liquidations ciblées d’opposants exilés. Depuis 1996, le régime impose chaque année à 400 000 jeunes un mode de conscription inédit : le service national à durée indéterminée. On sait à peu près quand il commence, jamais quand sonne l’heure de la quille. Longtemps résolu à saper l’Ethiopie, géant fédéral aux prises avec maintes pulsions irrédentistes, le camarade Issayas épaule aussi la plupart des factions rebelles qui, de l’Ogaden au Tigré, vial’Oromia, défient les autorités d’Addis.
8 Teodoro OBIANG (1942 - ?), l’émir de Malabo (Guinée équatoriale)
L’or noir, jailli en 1995 des entrailles de l’océan, propulse la principauté chétive et miséreuse au rang de pétromonarchie. Le même travers prébendier régit le négoce de bois précieux, autre vache à lait du régime, dont l’un des fistons du Caudillo de Malabo assure la traite. Le félin aux aguets ne tolère que les plumes serves et les micros souples d’échine. S’il est une scène sur laquelle le clan familial accorde aisément ses violons, c’est bien celle de la captation des richesses et du racket institutionnel. En attendant de céder le sceptre et la couronne au fils premier-né, c’est donc à Teodoro Obiang de sortir de l’ornière un pays asphyxié par la dégringolade des cours de l’or noir. Mais voilà: on peut avoir excellé sous l’uniforme dans la conduite des véhicules militaires et mener au fossé le char de l’Etat.
9 Gambie : jamais plus JAMMEH (1965 - ?)
Tant cet ex-officier putschiste hargneux et fantasque, au pouvoir vingt-deux années durant, aura mis d’ardeur à épuiser le catalogue des clichés du despotisme. La cruauté, l’arrogance, la paranoïa bien sûr. Mais ses autres travers lui confèrent en prime une aura aussi sépulcrale que romanesque. Rien ne manque à l‘inventaire. Ni les exécutions sommaires, ni les disparitions inexpliquées, les tortures, les détentions arbitraires et les persécutions de dissidents reels ou fantasmés. Cet autre avatar du seigneur détrôné de State House: le prédateur sexuel. Si Jammeh et les siens régentent à leur profit l’agriculture, l’élevage, l’énergie, la boulangerie, le commerce du bois et les importations de denrées de première nécessité, la Gambie végète dans le peloton de queue des palmarès mondiaux, oscillant entre la 165ème et la 172ème place – sur 187- au classement de l’indice de développement humain des Nations unies. De nombreux témoignages dessinent les contours d’une machinerie kleptocratique bien huilée, puisant allègrement dans les coffres de la Sécurité sociale, de la caisse de retraite, de l’autorité portuaire et des télécoms d’Etat.
10 Hissène HABRE (1942 - ?) : la méprise et le mépris (Tchad)
Pour rester dans la lumière, l’insurgé est prêt à tous les reniements comme à toutes les alliances. Mais l’agenda d’Hissène Habré, moins soucieux d’ouvrir une ère nouvelle que de régler de vieux comptes, tient en trois verbes: liquider, purger, venger. Il ordonne l’exécution de centaines de prisonniers de guerre avant de s’en prendre aux ethnies du Sud, animistes et chrétiennes, et à quiconque passe, à tort ou à raison, pour réfractaire à son imperium. Hissène Habré ne s’est ni adouci ni assagi. Il reste à cet instant l’ingénieur pointilleux d’une infernale machinerie punitive qui a vocation à broyer le moindre embryon de dissidence. Cette propension démente des pouvoirs totalitaires à consigner méticuleusement leurs atrocités, en livrant ainsi leurs rapports à la postérité. À l’évidence, tout remonte jusqu’au chef. Le 27 avril 2017, la cour d’appel des Chambres africaines extraordinaires confirme le verdict rendu onze mois plus tôt, désormais définitif: la perpétuité pour «crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes de torture.»
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Reste à ta place...! de Sébastien Le Fol - Albin Michel
Émetteur du résumé: François C.
Loin de bloquer leurs ardeurs, le mépris a exacerbé leur envie de réussir. Il a été leur moteur. Ce n’est pas le moindre des paradoxes du système français : la défiance ne peut être vaincue que par une confiance exceptionnelle en soi. On ne fait tomber ses citadelles qu’au prix d’une agilité et d’une résilience hors norme.
Chateaubriand a résumé avec brio l’histoire de l’aristocratie: l’âge des supériorités a laissé place à l’âge des privilèges, puis à l’âge des vanités. Le sang a juste changé de couleur. Il n’est plus bleu. Mais il irrigue encore nos veines de mille façons différentes.
C’est dans l’adversité que l’on juge des ressources d’un pays. Le corset qui enserre la France nous a privés du plus précieux des anticorps : notre intelligence collective.
Ainsi est né l’esprit de chicane français. On se compare sans cesse. On s’épie, on se jauge et on se jalouse. Un protocole invisible s’immisce dans chaque conversation. Vous rencontrez pour la première fois une personne et elle vous réclame immanquablement vos diplômes avant de s’enquérir de vos origines.
Le modèle français si infantilisant, tellement contraignant, a produit à son insu un formidable système D. En France, on s’épanouit dans l’école buissonnière, les chemins de traverse, les bars clandestins, et dans un autre registre, l’émeute. Cette dernière s’est imposée comme notre sport national. Nous y excellons.
Notre modèle de réussite est si étroit, classique et dissuasif que beaucoup de Français taisent leurs aspirations et renoncent à leurs ambitions. Par crainte de s’entendre dire : « Reste à ta place. »
« Les gens « intelligents » ont pris trop de pouvoir »…Sous la plume de David Goodhart, les «gens intelligents » désignent la nouvelle élite cognitive formée dans les meilleures écoles. Ils se sont arrogé le monopole du mérite. Les autres, moins instruits, travaillant avec leur main et leur cœur, se sentent méprisés. Leurs aptitudes ne sont pas reconnues et les emplois qu’ils occupent sont dévalorisés.
Entre imposture et autodénigrement, le système français prétendument méritocratique assassine chaque jour des milliers de génies en herbe. Au nom d’une vision rabougrie, sectaire et conformiste de la réussite, nous décrétons que des tas de jeunes n’ont aucune chance de devenir Mozart.
« C’est encore un règlement pondu dans un bureau à Paris par un énarque » est l’une des phrases que l’on entend le plus dans les cafés et les fêtes de famille…Les Français se sentent méprisés par ces énarques, nommés et non élus, qui n’ont aucune idée de la manière dont ils vivent.
Seuls 30% des cadres des soixante plus grandes entreprises françaises sont des femmes, alors qu’elles représentent près de la moitié de la population active.
1,1 million de personnes disent avoir été victimes d’au moins une atteinte à caractère raciste, antisémite ou xénophobe en 2019, selon une étude de l’Insee et de l’Ined. Les actes racistes ont augmenté de 38% depuis 2018, selon les chiffres du Service central du renseignement territorial. Cette augmentation est de 27% pour les actes antisémites, 54% pour les actes anti-musulmans et de 130% pour tous les autres actes racistes.
Nous devons multiplier les options méritocratiques plutôt que de les restreindre. Un diplôme ne devrait pas être un titre de noblesse. Le mérite est une affaire de talent et d’opportunités ; il ne s’agit en aucun cas d’une rente viagère conférée à un âge où l’on n’a encore rien entrepris. Le pantouflage qui permet à l’énarque de vagabonder dans le privé, certain de retrouver son corps d’origine en cas d’échec, en est l’illustration la plus frappante.
Ces accidents de vie les ont forgés. Au lieu de les abattre, ils les ont révélés à eux-mêmes. L’échec est fécond. Ces épreuves-là, fondatrices, leur ont beaucoup plus appris sur la vie que celles de l’école.
Ils en ont tiré une force extraordinaire : cette « envie d’avoir envie », comme l’appelle Johnny Halliday dans une de ses chansons célèbres.
La France a un problème avec l’échec. Elle n’en comprend pas les vertus…ceux qui échouent sont souvent méprisés dans notre pays. Alors qu’ils devraient être considérés. Leur échec est fécond pour eux-mêmes, mais surtout pour la collectivité.
Si on n’a ni diplôme ni réseau à présenter, on vient forcément de nulle part.
Je pense profondément qu’il n’y a pas d’ascension sociale possible sans qu’un « premier de cordée » vous fasse la courte échelle. Le mur à gravir est trop haut. On a besoin de quelqu’un pour nous hisser au sommet, nous grandir.
Société de statuts, la France cultive le ressentiment et la jalousie niveleuse, maladive.
La chercheuse et entrepreneuse Aurélie Jean déplore que nous ne donnions pas leur chance aux outsiders, « à ceux qui pensent différemment, à ceux qui ne suivent pas le parcours scolaire royal ».
La Révolution française a beau avoir aboli la société d’ordre héritée du Moyen Âge, ceux-ci subsistent encore dans l’imaginaire.
Ce que la vie ne vous donne pas à la naissance, vous devez le conquérir par l’obstination, le travail. Une porte se ferme ? Passez par la fenêtre, la cave, le toit…C’est valable en politique, mais pas seulement.
Bureaucrates, managers, universitaires, intellectuels, publicitaires : ils se sont tous donné le mot pour devenir inintelligibles…Ils apparaissent comme les producteurs d’une fracture sociale qu’ils sont censés réduire. La chasse aux expressions absconses est devenue un sport national.
De manière générale, l’amateur éclairé est regardé avec suspicion par les arbitres des élégances intellectuelles. C’est le diplôme qui valide le savoir. Et l’ordre des « sachants » qui distingue le bon grain élitaire de l’ivraie populiste.
La France est gagnée par certaines obsessions des campus et des médias américains : l’intersectionnalité, l’indigénisme, le racialisme…Cette vision réductrice de l’homme, qui l’enferme dans une identité, est bien la nouvelle forme du mépris. Un mépris sophistiqué, drapé dans la générosité et la défense des victimes.
Un bon « premier de cordée » ne compte pas sur ses seuls neurones pour parvenir au sommet avec toute son équipe. Il « emprunte le cerveau » des « seconds de cordée ». S’il les méprise trop, la corde se tendra et la cordée dévissera…
La liberté et la responsabilité restent les meilleurs remèdes pour dompter le mépris.
Sidération de Richard Powers - Actes sud
Coup de cœur d’Élodie, librairie De fil en page:
Robin un enfant différent , ingénu, qui s’inquiète du silence d’une galaxie qui devrait grouiller de civilisations et de la vie qui souffre sur sa propre planète au bord du chaos politique et climatique. Son père, astrobiologiste, fait de son mieux pour le préserver de la violence du monde et palier l’absence de sa mère: il simule d’autres mondes, d’autres formes de vies, ratisse les océans lointains et invente pour nourrir aussi bien les données des télescopes spatiaux que l’imaginaire de son enfant.
Un beau roman questionnant notre place dans le monde et nous amenant à reconsidérer nos liens avec le vivant.
«Mon fils était un univers de poche dont je n’atteindrai jamais le fond. Chacun de nous est une expérience en soi et nous ne savons même pas ce qu’elle est censée tester.»
«Un jour nous réapprendrons à nous connecter à ce monde vivant, et l’immobilité sera comme un envol.»
Chroniques du désordre de Teresa Cremisi - Folio
Émetteur du résumé: François C.
1.Les mots et les maux de notre temps
Chaque époque a des mots dont l’usage s’emballe à un moment donné pour des raisons sociales ou politiques.
J’ai choisi trois exemples, bien installés depuis le début des années 2000.
Respect,
Territoire,
Diversité.2.Courageux, généreux, féministe : le prof de l’année
Certains humains ne se découragent jamais, ils cherchent des solutions comme ils respirent.
3.L’intendance ne suivra pas
On a l’impression d’assister à un désinvestissement progressif de tout ce qui relève d’une démarche « scientifique », ancrée dans une méthode et dans la raison.
4.La revanche du hareng
J’ai compris trop tard que les nations sont comme les personnes. On croit que c’est l’intérêt et la raison qui conditionnent leurs vies. Pas du tout, ce sont les passions et les souvenirs du passé. Les rêves aussi.
5.Ton arrière-grand-père, ce salaud
On croyait savoir que seules les dictatures (et les mafias) rendaient responsables les individus des agissements de leurs ascendants…Un enfant de nazi n’était pas un nazi ; un gangster ne pouvait pas transmettre les gènes de la malfaisance à ses descendants.
6.Trois mères, un meurtrier
Le procès de Vesoul a braqué un réflecteur sur la place essentielle des mères et de la maternité dans l’histoire de ce crime.
7.La valise oubliée
Elle s’appelait Margarete Wagner, son amoureux Ignaz Hain…elle avait hurlé et couru longtemps derrière le camion des déportés.
8.Qui a peur pour le Père Noël ?
La description des grandes terreurs collectives qui ont induit, à des époques différentes et à des stades de civilisation différent, des comportements humains similaires.
9.Voici venu le temps de l’acédie
C’est Thomas d’Aquin qui a décidé que ce sentiment flottant, cette inclination de l’esprit, cet état de paresse triste et épuisée, était l’un des sept péchés capitaux.
10.L’Europe et le sexe des anges
Il y a une certaine grandeur d’âme à s’occuper de choses inutiles quand les catastrophes sont aux portes.
11.En avant calme et seule
Un conseil à l’inventeur japonais de la tente-isoloir : il faudrait trouver le moyen de l’insonoriser. Un jour le passage au cercueil capitonné se ferait sans effort.
12.Scènes de la vie au temps du Covid
Il me tend l’appareil, il a trouvé la cause : mon téléphone a un problème d’identité.
Voici le constat : mon smartphone est beaucoup plus intelligent que moi, il évalue mes capacités d’attention et, quand il sait que je ne suis pas loin de lui, il se fait silencieux pour ne pas me déranger.
13.Soupirs d’une féministe dépassée
Il doit me manquer une case : je ne comprends toujours pas pourquoi féminiser systématiquement les noms de profession serait une conquête du féminisme, la défaite d’un bastion masculin, la reconnaissance du droit à l’égalité.
14.Soupirs d’une féministe dépassée (suite)
Le slogan affirmait péremptoire : MEN ARE TRASH…Là on s’adressait directement au premier sexe. Court, sec, le mot trash n’a pas trente-six significations mais une seule : ordure, déchet, détritus, saleté…donc destiné au camion poubelle sans hésiter et sans tarder.
15.Les batailles du Panthéon
Faire entrer ensemble Rimbaud et Verlaine au Panthéon…Personne ne peut aider Emmanuel Macron, qui se retrouve seul devant ce grave et périlleux dilemme…des contorsions acrobatiques dans le but de concilier transgression et raison, postmodernité et ancien régime, culture et art militaire.
16.Le mois le plus cruel
C’est septembre le plus cruel des mois. Septembre, le mois du recommencement, celui où les brouillards de l’incertitude auraient dû se dissiper…Le mois cruel est au rendez-vous, mais les brouillards sont de plus en plus intenses.
17.Défense des statistiques (et de Winston Churchill)
C’est au citoyen d’apprendre à lire et à comprendre les statistiques, il y va de sa liberté de penser. C’est ainsi qu’il pourra essayer de donner tort à une (authentique) citation de Churchill : « Les hommes trébuchent souvent sur la vérité, mais la plupart se relèvent et passent leur chemin comme si de rien n’était. »
18.Histoire de Jeremy, l’escargot gaucher
Je ne trouve pas de morale à cette histoire, mais vous incite à en choisir une selon vos préférences : vous pourrez méditer sur l’excentricité britannique, le dur métier de chercheur, la variété du vivant, les surprises de l’amour.
19.Les faussaires de Dieu
Alors que les actes d’héroïsme du consul étaient connus, on ne saura jamais pourquoi les quatre religieux ont, eux, décidé de garder le silence…On ne peut qu’imaginer un pacte entre eux, un pacte d’effacement et d’humilité.
20.Notre pays est nulle part
Une greffe improbable mais solide avait pris entre la France et ce morceau de terre aux frontières découpées à la va-vite. Au Liban, la coexistence de communautés différentes semblait possible. Un destin de Suisse d’Orient, atteignable.
21.Eloge de la nouvelle
Le roman pourrait être rapproché de l’art de la tapisserie (épisodes fondus dans une histoire vaste, personnages dont on suit les aventures, etc…) alors que la nouvelle ferait au contraire penser à un gant : une pièce sur mesure, qui s’adapte à la main, un objet subtil, fermé, dont toutes les coutures sont nécessaires et ajustées. La surprise, l’humour, l’angoisse, l’amour, l’ennui, le désespoir, la nostalgie, attrapés à la volée dans un court récit, requièrent une architecture fine et rigoureuse.
22.Joséphine de Beauharnais nous a écrit
Le nouvel emplacement à Fort-de-France n’a pas suffi à me protéger : en 1991, un commando anonyme a décapité la statue et d’horribles dégoulis de peinture rouge simulant des traces de sang ont été peints sur ce qui restait de mon cou. Les maires, les préfets ont choisi de ne rien faire. Ni remettre une nouvelle tête, ni tout envoyer bazarder, ce que j’aurais de loin préféré.
23.Un sphinx à la Maison-Blanche
Mais comme d’autres curieux, j’attends avec impatience les résultats du vote de novembre 2020. Quelle nouvelle grimace inventera Melania Trump si son mari est réélu ? Et s’il perd que fera-t-elle ? Une danse improvisée sur un guéridon, pieds nus et jupe virevoltante ?
24.Mon père, ma mère et mon arrière-grand-oncle
Mais les quatre mousquetaires se sentiront toujours égaux et combattront ensemble liés par l’amitié, le goût de l’aventure et l’amour de leur pays. Leurs forces et leurs faiblesses respectives se mélangeront dans un vigoureux compagnonnage.
Ils ne penseront pas à nous rabâcher à longueur de pages leurs origines pour nous attendrir, nous séduire ou – peut-être, qui sait- nous intimider.
25.Dilemmes pour les écolos
Consommation et gaspillage ; nature et maquillage ; voiture et bilan carbone.
L’avenir aura peut-être le visage d’une femme non maquillée, en t-shirt et tongs, sur un vélo unisexe noir. Espérons qu’elle sera souriante.
26.Sic transit gloria mundi
J’ajoute avec tristesse que le brouhaha simplificateur sur les crimes perpétrés contre les Noirs fait oublier les tragédies actuelles comme celles des femmes yézidies réduites au plus effarant, au plus atroce des esclavages. Un silence consternant !
27.Hubris, mesure et démesure
La défaite, l’exil et la mort mettaient brutalement fin à leur destin : le châtiment, la Némésis tombait alors comme un couperet.
Il faut toujours prendre les récits et les métaphores mythologiques au sérieux : c’est ce que nos ancêtres ont inventé de mieux en s’efforçant de trouver un semblant de logique au foutoir de nos existences.
28.La barbe d’Edouard Philippe
Vous pensiez que j’étais un chat d’appartement, un chat très éduqué, cultivé, raffiné, un chat sorti de l’ENA ? Eh bien non, je suis un chat de combat. Et peut-être ai-je aussi l’âme canaille d’un chat de gouttière.
29.Une chef comme un autre
Un article récent, rédigé par des experts suisses et allemands, constate la faillite relative de la sélection des élites et propose d’introduire de l’aléatoire dans le parcours des carrières.
Dans la balance entre risques d’incompétence et dangers de l’hubris, il paraît que nous serions statistiquement gagnants.
30.L’enfant de Suraya
L’absurdité, le scandale du terrorisme sont répétitifs et difficiles à décrire. Pour cette raison, le journalisme est grand quand il arrive à porter à la connaissance des faits et des noms avec pudeur et respect.
31.Tu causes, tu causes
Les « éléments de langage » sont venus pourrir les premières caractéristiques de l’éloquence : originalité, sincérité et force des arguments. Des expressions stéréotypées envahissent notre vie et servent d’ouvre-boîte universel…Elles ne durent pas très longtemps, remplacées par d’autre dès que l’usage intensif les a flétries.
32.Sortons, sortons
L’armée des réformateurs de la planète m’a vite plongée dans un abattement profond…Peut-être, après tout, qu’il sera plus facile de sortir du confinement que d’un groupe WhattsApp.
33.Lettre à Sibeth Ndiaye
Mais non, le courage sans prudence n’est rien. Les cimetières sont pleins de courageux imprudents, de téméraires sans discernement, de serviteurs loyaux mais raides dans leurs obéissances.
34.Un vent mauvais
En parlant de l’engagement du docteur Samar, un collègue a dit que, depuis le début de l’épidémie, elle « avait essayé d’arrêter le vent avec ses mains ». Ce vent mauvais et analphabète, insensible aux devises et aux mots d’ordre, indifférent aux étendards et aux drapeaux. Ce vent qui n’a pas eu pitié d’elle. Ni du pays qu’elle avait choisi.
35.Pourvu que, pourvu que
Mais mon père prenait le soin de rajouter : « Chaque jour, je pensais à ce que j’aurais aimé faire, je faisais et refaisais des listes et je me disais : « pourvu que, quand tout cela sera fini, ces choses soient encore possibles ».
36.Tout change, tout change
Toute la réserve des philosophes a été rappelée pour nous convaincre que le moment est venu de repenser notre vie, de la transformer, de l’adapter. Deux options nous sont offertes : le stoïcisme ou l’épicurisme. Choisissez celle qui vous convient mais cous n’échapperez pas au changement « épochal ».
37.Pas de problème, pas de problème
Chères autorités, dès que vous dites qu’il n’y aura pas de problème, vous faites peur…On n’y avait pas pensé à la méga-panne d’Internet, et voilà que vous réveillez des doutes. Cette défiance généralisée n’est que la conséquence d’une longue série d’affirmations contradictoires, toujours énoncées avec le même aplomb et touchant tous les sujets…
38.A distance, à distance
Mais comme le vice de compliquer les choses est irrépressible chez les humains, s’est ouverte ensuite l’ère pénible des slides, des comex et des mails adressés à cinquante-deux personnes.
39.C’est tous les jours tempête
Bienvenue dans notre espace public envahi par la peur, l’indignation, la rage, les cris, les anathèmes, la colère, la vengeance, les peurs, les vociférations, la honte, les trépignements, l’esprit de clan, les tourments subis et infligés. Nous vivons une époque où un affrontement d’idées équilibré, une conversation argumentée paraissent désormais louches et insipides.
40.Un musée a disparu
Le Newseum, l’unique musée du monde consacré au journalisme et au traitement de l’information…avait l’ambition de documenter l’histoire contemporaine et d’être aussi la chambre d’écho du bruit du monde…Il disparaît sous la présidence d’un homme qui se fiche complètement de l’influence culturelle de son propre pays. Il croit à tort qu’elle n’a rien à voir avec le bien-être et la richesse.
41.Jouer pour ne pas souffrir
On dit qu’il faudrait voyager au loin pour se distraire d’un grand chagrin, ou prier, ou acheter un chien, ou avaler des antidépresseurs. La douleur creuse sa galerie comme une taupe entêtée. Il faut que la taupe se calme et s’endorme pour trouver un peu de répit.
42.Un aérolithe a percuté la planète Culture
Si vous avez du goût pour les expressions récurrentes du discours politique, vous serez comblés : ne manquent dans ces pages ni les médiations sectorielles, ni les portails d’information, ni les observatoires de transparence. Et rassurez-vous : on s’occupe aussi du ressenti de paupérisation et on n’oublie pas d’identifier les facteurs d’inégalité afin de les neutraliser.
43.Une journée inoubliable
Nous qui chérissons comme un trésor caché le souvenir de moments lointains, nous qui avons -comme tout le monde- en filigrane dans un agenda parallèle et intime un rendez-vous avec des jours qui clignotent en silence.
Secrets peut-être, misérables jamais.
44.La fidélité pour tous
Une femme enjouée m’a dit : « Oh moi, je ne sais pas dire non quand on me propose quelque chose. Mais dès que j’ai une carte de fidélité, je file acheter ailleurs. J’ai une collection de cartes que je n’utilise jamais. Je mérite la carte de l’infidélité. »
45.Carlos has gone
« Les circonstances sont bien peu de chose, le caractère est tout » : la phrase est de Benjamin Constant, elle se révèle très utile dans les périodes troublées de l’existence.
46.Désobéir à sa marionnette
Giorgia Meloni est sortie de sa case et les réseaux ne tolèrent pas les pas de côté. Personne n’imagine une marionnette s’appropriant un rôle qui n’est pas le sien. On exige des personnalités publiques qu’elles soient toujours fidèles à leur caricature. Il est insupportable d’avoir les mêmes sentiments que quelqu’un qui n’est pas du même bord…Où va le monde, si l’adversaire vous donne raison ?
47.Casanova à Buenos Aires
Il se peut que l’ambassadeur, avant de subtiliser le livre, en ait lu la première page : « Giacomo est tour à tour escroc, séducteur, savant, illusionniste. Il est aussi imposteur et mythomane, fier de ses duperies et poète lucide de ses mensonges. Il cultive l’insouciance et la confusion entre le licite et l’illicite…Il joue tous les rôles par vocation et par bravade. »
48.Sincériser, sincérisation, sincérisable
« Nous ce qu’on veut faire, c’est sincériser l’affichage ! » a-t-elle déclaré en présentant un petit bonhomme jaune stylisé. La voie est ouverte : c’est bien parti pour que désormais on « sincérise » les devis, les déclarations, les échéances, les vœux, les promesses…
Quant à moi, je vous certifie que cette chronique a franchi toutes les étapes de la sincérisation.
49.D’Artagnan et la retraite rêvée
Il y a une étrangeté profonde dans cette inversion des rêves ; on ne rêve plus d’une belle vie intéressante dans laquelle se plonger dès la sortie de l’adolescence…La maturité ne peut être qu’une période fatigante et anxiogène. La seule richesse à protéger dans ce gris monde est celle qui illumine de sa lumière adoucie les dernières années de l’existence.
50.Les étoiles Michelin de l’Unesco
Cette passion classificatrice les a conduits à inventer assez récemment une liste du « patrimoine immatériel » à préserver…Elle mélange traditions, langages, rituels, événements festifs, expressions artistiques variées.
51.Lâchez prise !
Bref, on n’arrête pas de courir physiquement et métaphoriquement.
Le lâcher-prise, une stratégie, une philosophie disent-ils. De bien grands mots (et des propositions commerciales éhontées) pour signifier que quand on n’y arrive pas, il vaut mieux laisser tomber et penser à autre chose.
52.Chère Voiture, (ou chère automobile, auto, guimbarde, caisse, bagnole…),
Chère Voiture, j’aimais beaucoup te conduire, j’aimais te garer avec des créneaux impeccables, j’aimais l’idée de partir sans savoir où j’allais m’arrêter pour dormir, j’aimais écouter de la musique en tenant le volant…Dors encore quelque temps dans ton parking. Je te quitterai le plus tard possible.
53.Les premiers de la classe
C’est grâce à Suétone que nous savons que Caligula projetait de nommer consul son cheval préféré, que César « était le mari de toutes les femmes et la femme de tous les maris » et que Néron s’est donné la mort en s’exclamant : « Quel artiste périt avec moi ! ». Qu’aurait-il écrit à propos de Trump, Beppe Grillo ou Bolsonaro ?
54.Les sourcils de la Joconde
L’aura a quelque chose d’insensé et d’un peu maléfique ; tout chez Léonard de Vinci devient sujet d’interprétation et de recherche.
55.A nos risques et périls
Un dense brouillard bureaucratique s’épaissit d’année en année et enveloppe notre vie de tous les jours…des catégories, des normes, des évaluations, des procédures naissent ou se perfectionnent tous les jours, nous cernent de toute part et exigent que l’on se mette en conformité.
56.Comme il vous plaira
Le sigle LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) est devenu depuis des années un sigle universel. (N’étant aujourd’hui plus exhaustif, il s’est allongé devenant LGBTQIA : on a ajouté Queer, Intersexes et Asexuels. Dans leurs écrits, des experts prudents -on ne leur donne pas tort- complètent le sigle d’un signe « + ».)
57.Surtout ne souriez pas
Mais en général on hésite devant l’association de mots désaccordés, comme s’ils avaient été mélangés avec énergie par un robot mixeur auquel on aurait fait avaler Le Petit Larousse.
58.Charabias en tous genres
Molière aurait été comblé : il aurait rencontré des Sganarelle à chaque coin de rue. Un directeur de musée polyphonique et inclusif, un communicant humain et attachant lui auraient inspiré des personnages merveilleux. Seul problème : le public. Il a un peu perdu l’habitude de s’esclaffer.
59.Nous n’avons que deux jours à vivre
Mais ces poussées inflammatoires sont révélatrices de ce que pourrait devenir notre pays en cas de crise nationale : ce qui aujourd’hui est une soupe peu ragoûtante se transformerait vite en un cocktail de poisons mortels.
« Nous n’avons que deux jours à vivre, ce n’est pas la peine de les passer à ramper sous des coquins méprisables. » Voltaire
60.Le bouquet nouveau est arrivé
Koons est toujours aussi intelligent et roué, son compte en banque est de plus en plus solide, il est devenu l’artiste le plus cher de la planète. Et il aura son apothéose parisienne avec l’installation de ses Tulipes de dix mètres de hauteur (un immeuble de deux étages) tout près de la place de la Concorde.
61.Rentrée pascalienne
« Ainsi s’écoule toute la vie : on cherche le repos en combattant quelques obstacles et, si on les a surmontés, le repos devient insupportable, par l’ennui qu’il engendre ; il en faut sortir et mendier le tumulte ». Pascal
Donc, le message est simple : plongez-vous dans votre rentrée, mais n’oubliez pas de commencer à penser à vos prochaines vacances.
62.Greta et les philosophes
Le désarroi de l’individu contraint de prendre parti entre deux choix gênants ou détestables…entre l’apocalypse et la vitupération, entre Cassandre et les lapidateurs, entre l’asphyxie par esprit de sérieux et l’étranglement par rage…Sollers suggérait de lever le bras et d’appeler tout simplement un taxi pour prendre la fuite, physiquement ou métaphoriquement. Stop ! On s’en va ! On n’est plus là ! On ne vous écoute plus !
Taxi !
63.Je suis grétine
Les moustiques débarquent à Roissy et s’y sentent aussi bien que sur les rives du Niger ; on organise des funérailles en bonne et due forme pour les glaciers qui disparaissent et, si on veut encore que les grands mammifères sauvages se reproduisent, il faudra pratiquer des PMA obligatoires dans la brousse pour les éléphantes, les lionnes et les girafes.
Je suis désolée de le constater et mortifiée de l’avouer : je suis devenue grétine (avec un « g », ou si vous préférez, avec un « c »).
64.Les excentriques et autres animaux
L’excentrique n’agit pas contre les bonnes mœurs ou les règles de la vie sociale, il construit un monde à côté qui n’appartient qu’à lui. Un monde fait d’outrances raffinées ou de bizarreries inquiétantes, mais un monde à chaque fois unique et personnel.
65.Dessine-moi un serpent
Avec un grand tatouage on est prisonnier de son aigle ou de son serpent jusqu’à la fin de ses jours. C’est certes pratique en cas d’accident d’avion, mais ce n’est sûrement ni le but ni l’explication. Alors je sèche…Seuls les espiègles habitants des îles de la Société qui montraient en riant leurs fesses historiées aux marins du capitaine Cook auraient peut-être une réponse.
66.Entre deux patries
Personne n’évoque jamais les trésors de souplesse nécessaires pour marcher sur une ligne de crête inconfortable. C’est au fond comme si on avait deux parents encombrants que l’on ne pourrait jamais laisser tomber pour partir en vacances ; on essaie instinctivement de plaire aux deux et on défend l’un quand l’autre lui envoie une vacherie.
67.La bonne volonté culturelle
La définition par Bourdieu de la culture comme enjeu symbolique pour accéder à la classe dominante, sa description des pratiques culturelles et des styles de vie adoptés par la petite bourgeoisie pour s’intégrer à une supposée élite, l’affirmation d’un capital culturel aussi puissant socialement que le capital financier et se superposant à la lutte des classes -tout cela m’apparut comme une grille de lecture lucide et utile de la société occidentale.
68.Snobisme et vulgarité
La vulgarité n’est pas la vanité (plutôt inoffensive et ridicule), elle n’est pas la grossièreté (fruste et parfois passagère). Elle porte en elle quelque chose de « décomplexé » et d’agressif.
Au fond snobisme et vulgarité sont à l’opposé.
69.La droite, la gauche et la littérature
Enfin Marcel Proust aura, au lendemain de sa mort, l’hommage d’un jeune catholique qui s’appelait Mauriac : un texte émouvant, beau et guerrier d’où j’extrais quelques phrases : « Il est mort de ce travail insensé. Voilà donc la leçon terrible qu’il nous laisse : l’art n’est pas une plaisanterie ; il y va de la vie et il y va de bien plus. »
70.C’est une chanson qui nous ressemble
C’est pour cela que les choix des invités aux Francofolies ou les nôtres sont des révélateurs de personnalité. Mieux : des révélateurs d’histoires intimes. Tristesse, mélancolie, humour, cocasserie s’expriment, mélangés dans un désordre charmant.
A Barbra le dernier mot : Vos plus belles chansons d’amour, c’est vous.
71.Il fait chaud ? On s’en occupe !
La météo a bon dos : elle est presque toujours une aubaine pour les politiques. Il suffit d’annoncer une tempête terrrrrible qui, probable mais non certaine, va déferler sur nos côtes pour occuper l’opinion.
Faire baisser le chômage ou endiguer le déficit public sont des tâches ardues, on comprend l’intérêt de s’occuper du temps qu’il fait.
72.Pauvres adultes
Pas besoin de calculette pour constater que le déroulé des âges de la vie est complètement déséquilibré par la dilatation de l’adolescence et l’allongement de la vieillesse.
L’existence d’une bonne partie de l’humanité finira par ressembler à un hamburger mal fichu : deux tranches de pain de plus en plus épaisses encadrant un steak haché tout fin et sans garniture.
73.Tous au tribunal
L’affaiblissement des structures sociales semble avoir débouché sur un individualisme agressif qui, au nom d’une conception plus utilitariste de la démocratie, se lance à la recherche effrénée de responsables-coupables.
L’opinion publique est ainsi devenue plus intolérante que ne l’était la monarchie absolue. Je ne suis pas loin de penser qu’aujourd’hui Diderot, Voltaire et Rousseau passeraient leur vie devant les tribunaux.
74.Le théâtre à la barre
Le regard de ces chroniqueurs judiciaires distingue et reproduit l’infinie palette du nuancier de notre condition humaine. Ce qu’ils nous racontent dépasse le tribunal, les prévenus, la loi, la justice ; il touche à l’essence même de l’humanité et devient littérature.
On en redemande. Pour nos rêves et nos cauchemars.
75.Beaux, propres et parfumés
L’inventivité lexicale est aussi au rendez-vous : les étiquettes rivalisent en adjectifs semi-scientifiques. Vous devrez choisir, parmi les nouveaux sérums, le plus redensifiant, réhydratant, revitalisant, repulpant, reliftant, régénérant, relipidant.
76.Lettre à une otage mystérieuse
Pourquoi êtes-vous partie à plus de 60 ans ?
Partir en Orient ou en Afrique signifiait affronter des dangers considérables, chaque jour on remettait sa vie en jeu, on « posait sa tête sur les genoux des dieux » comme dit un proverbe oriental.
77.Il y a toujours un reporter
Une bonne partie des crimes commis aujourd’hui finissent par avoir un travelling les illustrant. C’est parfois le criminel lui-même qui tient la caméra et là on se perd en interrogations.
Les reporters sont partout, la réalité on ne sait plus.
78.En situation de perplexité
Ce travestissement doucereux tend avec méthode à envelopper la réalité dans un édredon de précautions.
Sans les mots, plus d’idées. Sans finesse de l’expression, plus de force de la pensée. Et, à l’inverse, chaque mot est un trésor, une fenêtre de liberté, un fragment d’une mosaïque infinie qu’il faut protéger avec tendresse
79.La police et le perroquet
L’espièglerie et l’incomparable don du récit de La Fontaine auraient fait merveille du cas du petit perroquet voyou, muet de désespoir et de solitude, auquel les autorités vont donner la liberté de tomber dans la gueule du premier puma qui passe.
80.La discothèque planétaire
Si on veut échapper à la discothèque permanente, il faudra bientôt s’organiser et y mettre le prix. Des experts de l’obscurité et de la tranquillité se sont vite mis au travail : ils repèrent les lieux où l’on pourra regarder les étoiles et dormir ensuite la fenêtre ouverte en écoutant le vent dans les arbres.
81.Arlequins sans frontières
La liste est longue de ces success stories de comiques d’avant-scène, d’humoristes, d’acteurs de cabaret, qui se lancent en politique et écrasent leurs concurrents.
Cher Carlo Goldoni, Arlequin n’est plus serviteur de deux maîtres, il faut que vous réécriviez votre pièce. Arlequin est libre et conquiert le monde. Il est maintenant chez lui partout.
82.Ce soir pizza et salade
Ainsi va le désordre du monde, ainsi vont les paradoxes de l’argent. Il n’y a pas de morale unique à en tirer. Il y en a plusieurs. L’histoire des pizzas livrées à Lagos via Londres aurait enchanté un grand Italien comme Alberto Moravia. C’est lui qui m’a dit un jour : « Au fond être riche est à la portée de toute sorte de gens dans tous les coins de la planète, mais on ne peut juger un homme qu’à partir de ce qu’il fait de sa fortune ».
83.Je ne suis plus un robot
Les tests Captcha, qui nous faisaient perdre beaucoup de temps, étaient rigolos : il fallait déchiffrer une série de lettres ou de chiffres brouillés et distordus, comme sortis de vieux parchemins médiévaux. On ratait son coup une fois sur deux, on recommençait avec patience.
Il me restait Captcha. Ça aussi, c’est fini.
84.Arsenic et nouvelles dentelles
Pour m’aérer un peu, j’ai décidé d’aller voir à quoi ressemble un magasin Etam…A la sortie, on m’a offert en souriant un sac en toile. Avec un message imprimé en gros, noir sur rose : « Oui au sexy, à l’indépendance, à l’optimisme, à la french liberté ».
Bon courage.
85.Pensez printemps et lisez bonheur
Par un paradoxe que je ne saurais vous expliquer, cette pensée optimiste s’enracine dans un pays où le pourcentage de râleurs dépressifs est le plus élevé.
Le printemps a le bon goût de se présenter même quand tout va de travers.
86.Divorce au Pays des merveilles
(Brexit) Toute cette histoire tissée d’impréparation, de dramatisation et de confusion nous renvoie à un monde saugrenu et drolatique. Le nonsense anglais a trouvé sa place dans chaque rebondissement de ce tortueux itinéraire.
87.Un amour de smartphone
En entrant dans notre intimité, en la construisant, le smartphone est devenu le prolongement de nous-mêmes : il nous réveille, nous informe, nous guide, nous berce et nous rassure.
88.Anonymat, pseudonymat, intérimat, microclimat
Donc, Chères Autorités, nous sommes d’accord, réformez Internet si vous en avez la possibilité : dans un monde idéal, il serait bien que chacun réponde de ses paroles et de ses actes. Mais vous ne pourrez rien contre les idiots. Leur nombre est hélas incompressible.
89.L’initialisation du monde
J’ai été fascinée, dans ce répertoire proposé par le Sénat, par la prolifération des zones : jugez-en par vous-même : ZAC, ZAD, ZAN, ZDR, ZEE, ZEP (éducation prioritaire, mais aussi environnement protégé), ZES, ZFU, ZIF, ZPE, ZRD, ZRU, ZSP, ZUP (à urbaniser en priorité), ZUS (urbaine sensible…).
Vous avez le tournis, n’est-ce pas ?
Alors le moment est venu de dire ZUT.
90.Solidarité, charité, fraternité pour 19,90 euros par mois
Au nom du bon goût, ne pourrait-on pas éliminer les 90 centimes ? « 19,90 » sonne inévitablement comme une promotion spéciale de H&M ou de Monoprix.
Allez ! 20 euros tout ronds pour « veiller sur nos parents », ce serait plus classe.
91.Machisme, misogynie et jolies fesses
La misogynie exprime un agacement, un mépris uniforme pour les femmes, leur petite cervelle, leurs fragilités, leurs supposées « hystéries ». Le machisme, au contraire, revendique un certain amour de la femme, celle qui comprend ce dont un homme a besoin, s’occupe de lui avec douceur, admet et valorise sa supériorité.
Peut-être aurait-il fallu mettre le selfie-des-fesses de Colombe Schneck sur la façade des Galeries Lafayette ?
92.Lapin de jade est en mission dans l’espace
L’idée principale du traité de Sun Tzu, L’Art de la guerre, est qu’il faut contraindre l’ennemi à abandonner la lutte au plus vite…J’ouvre au hasard : « Capable, passez pour incapable ; prêt au combat, ne le laissez pas voir… ; quand vous agissez, feignez l’inactivité ; soyez mystérieux jusqu’à l’inaudible ».
93.Mais où sont les vertus d’antan ?
Pendant des siècles, le regard des philosophes sur les émotions était bien différent du nôtre, ils écrivaient des traités pour apprendre à les maîtriser sans les étouffer, les réguler sans les nier…Ils étaient tous d’accord pour trouver qu’un homme libre devait rechercher et s’appuyer sur quatre vertus : prudence, justice, force et tempérance.
94.A nous deux, Paris !
Quand on décide de vivre en France, l’extrême centralisation du pays vous saute aux yeux, elle s’impose comme une évidence aveuglante de l’histoire et de la géographie.
Mais un jour revivra peut-être le Paris d’Apollinaire, cette jeune fille trépidante qui s’éveille, « secoue sa longue chevelure/et chante sa belle chanson ». Heureusement, les fantasmes sont souvent à double face.
95.Powerpoint, reporting, process, brainstorming et autres plaisirs
Assez tard dans la vie j’ai donc découvert l’idéologie managériale…Pour faire court : une idéologie du bien, professant de protéger et de favoriser l’épanouissement professionnel des travailleurs et, en même temps, de produire du retour sur investissement et des dividendes.
96.Toxique, de plus en plus toxique
La deuxième place est occupée par une association de mots imprévue : « masculinité toxique ». Loin devant les gaz asphyxiants, les algues vénéneuses, les drogues létales. Nous savions déjà, MeToo nous l’a prouvé, que les hommes sont lâches et matamores, grivois et harceleurs. Il ne leur manquait plus que d’être toxiques.
97.A vos fourchettes, Citoyens !
L’obsession de la nourriture qui s’est emparée de notre société. Une double obsession : d’un côté, la gastronomie avec son langage de plus en plus fleuri et emphatique, de l’autre, la malbouffe et la dramatisation sans fin de ses horreurs.
98.Banksy et les tulipes
La Fille au ballon s’est autodétruite à moitié grâce à un mécanisme déclenché à distance, une partie de l’œuvre encore dans le cadre et le reste pendouillant dehors, trois secondes après l’adjudication à un heureux acheteur pour plus de 1,2 millions d’euros.
99.Airbnb et les lettres d’amour
Des siècles de civilisation avaient consacré la maison comme lieu intime, sacré. On la chargeait de symboles et de souvenirs…Tout cela apparaît bien désuet lorsqu’il s’agit d’ouvrir grand ses portes à des inconnus qui vont le lendemain se précipiter sur l’application pour en parler. Et même confirmer que vous et votre mari êtes très charmants et formez vraiment un beau couple.
100.Connectez-vous !
Il faudra aussi faire très attention à sa voix et à ses intonations. Il existe des assistants vocaux qui analysent les émotions. Amazon a déposé cette semaine un brevet pour un système qui interprète « la joie, la colère, la tristesse, la peur, le dégoût, l’ennui ou le stress ». Ce n’est pas pour vous consoler ou vous soulager, mais pour vous envoyer des messages adaptés à vos états d’âme.
Dictionnaire amoureux de la géopolitique d'Hubert Védrine - Fayard
Émetteur du résumé: François C.
A
Afrique(s)
L’avenir des flux migratoires internes ou externes, gérés et maîtrisés ou non, ou la sauvegarde ou non de la biodiversité.Algérie
L’Algérie a un potentiel considérable si elle arrive un jour à transcender son souverainisme accusateur et vengeur.
Altermondialiste
En fait, tous les pays émergents rêvent d’entrer enfin dans l’économie de marché.
Anthropocène
Pour moi, c’est évident que nous sommes entrés dans une ère qui bouleverse totalement les conditions physiques de la vie (et donc de la survie !) sur la Terre, quel que soit le nom qu’on lui donne.
Arabe (monde)
En fait, il n’y a pas d’unité politique du monde arabe contemporain et de ses 380 millions d’habitants, même pas au Maghreb.
Le « monde arabe » reste très prisonnier de ses contradictions et dépendant des décisions prises par les autres ou de l’enchaînement aléatoire des stratégies des acteurs régionaux ou extérieurs.
Armements (course aux)
Il faut totalement repenser et relancer la maîtrise et le contrôle des armements, voire le désarmement au XXIème siècle.
Asie centrale
Ouzbékistan (Tachkent), Kazakhstan (Astana), Kirghizistan (Bichkek), Tadjikistan (Douchanbé).
B
Batailles
Comprendre comment on impose la paix, on la rétablit, on la maintient, on la protège.
Bretton Woods (Accords de)
Sans cette suprématie du dollar, la scandaleuse politique américaine de sanctions extraterritoriales s’effondrerait. Pour l’avenir, la question est : quelles relations entre le dollar, l’euro, le renminbi et le yen ?
Brexit
Et puis, à la longue, nous avons oublié Trafalgar, Fachoda, Mers El Kébir.
C
Caucase
Trois Etats : la Géorgie, l’Azerbaïdjan et l’Arménie.
La fragilité du Caucase est également frappante en Géorgie.
Chinamerica
Par ses rejets géants de CO2 (45% des émissions mondiales !), les deux mastodontes sont devenus les premiers responsables de l’aggravation de la crise du climat et de la biodiversité dans le monde, et enferment celui-ci « dans une trajectoire d’aggravation permanente ».
Chine
Projet OBOR (Routes de la soie) est devenu l’équivalent à la puissance 10, de la route des Indes ou de la verticale Le Caire/Le Cap de l’Empire britannique, de la transversale Dakar/Djibouti pour la France, du transsibérien pour la Russie.
La Chine impressionne, captive, influence, mais ne séduit pas.
Chine - Russie
25 millions d’habitants au maximum entre l’Oural et Vladivostok.
Churchill, Winston
La lumière solaire churchillienne nous parvient encore. Jusqu’à quand ? Et que nous dit-elle ? Qu’il faut s’arcbouter et résister. A quoi et à qui en priorité ?
CNN (Cable News Network)
Il existe au moins 110 chaînes d’information continue dans le monde.
Transformation fébrile de toute la sphère publique par l’information continue qui met tout artificiellement sous tension…
Colonisations
Cette approche historique, rationnelle, pluraliste, documentée est impossible. Il faut résister, et attendre.
Commission européenne
Il faudra pour cela modifier l’ADN des Européens…tels qu’ils sont devenus après 1945, s’imposer à notre allié américain, résister à nos rivaux asiatiques. C’est une nécessité, sinon l’Europe sera écartelée, neutralisée ou effacée.
« Communauté internationale »
La nécessité d’une écologisation généralisée qui aille plus vite que la dégradation des conditions de vie sur la planète.
Covid-19
Les aggravations, les accélérations, qui font que plus rien ne sera exactement comme avant.
D
Davos
Forum pour tous ceux qui prospèrent dans la mondialisation dérégulée et financiarisée.
Diaspora(s)
Les Arméniens (aujourd’hui 3 millions en Arménie, 6,5 à l’extérieur), les Grecs (10 millions à l’intérieur, 6,5 à l’extérieur), les Libanais (5,5 millions environ au Liban, entre 4 et 14 millions à l’extérieur selon les décomptes), les Africains (40 millions aux Etats-Unis descendant d’esclaves importés), les Juifs (6,4 millions en Israël, 8 millions en diaspora dont 5,7 millions aux Etats-Unis)…
Diplomatie
L’Union européenne « a les mains propres parce qu’elle n’a pas de mains ».
Dissuasion
Aujourd’hui, sur les 16 000 ogives nucléaires mondiales, la Russie et les Etats-Unis en ont entre 6 et 7 000. La France, 300…
Dollar
Il devient hégémonique du fait de la suprématie économique américaine qui s’accroît et s’étend avec l’américano-globalisation.
E
Eau
La perspective de la raréfaction de ces eaux du fait du réchauffement climatique et de la fonte des glaciers est terrifiante…
Ecologisation
La vie sur la planète sera compromise si 7, 8, 9, 10 milliards d’habitants vivent (consomment, polluent, surexploitent, déforestent, artificialisent, rejettent des déchets et dégradent) comme les pays plus « développés » ou « mal » développés aujourd’hui.
Reste la démographie (vers 10 milliards !) qui exponentialise tous les risques.
Les Européens doivent se réveiller, et prendre la tête de l’écologisation raisonnable et scientifique. Ils ont beaucoup d’atouts pour cela.
Emergents
Seuls les « pays les moins avancés » (PMA) (selon l’ONU, quarante-huit en 2019, dont trente-trois en Afrique) stagnent et continuent à demander de « l’aide ».
Empires
Leur sort final fait méditer Toynbee (et nous avec) : « Les grandes civilisations ne sont pas assassinées ; elles se suicident. »
Energie
Alors qu’il faudrait d’urgence accélérer les mutations vers les énergies non carbonées, nucléaire inclus, et réduire toutes les autres, les unes après les autres.
En 2017, en France, l’éolien n’atteint même pas 2%, la biomasse 1% et le solaire 0,7%.
Ere numérique
Supériorité américaine écrasante, challenge chinois redoutable, résilience des Japonais, capacités d’Israël, notamment offensives, performances russes réelles, risque de déclassement européen partiel si rien n’est fait.
Esclavages
L’ONU considère que l’esclavage touche encore aujourd’hui environ 40 millions de personnes, essentiellement en Afrique.
Espions (de papier, de pellicule)
Le vrai espionnage est de plus en plus électronique, numérique et cyber, autre terrain d’affrontements entre puissances et entre entreprises.
Etat voyou
Bientôt, l’Etat voyou sera celui qui, n’appliquant pas ses engagements écologiques, mettra en danger d’autres êtres humains…Cela va vite venir.
Etats-Unis
L’américanisation de la sphère occidentale est évidente.
Europe
L’Europe des lois, des décrets, des directives, des réglementations, du fameux « acquis communautaire » de plus en plus lourd et contraignant de procédures. En construction jusqu’où ? jusqu’à quand ? Avec quelles limites ?
Il n’en reste pas moins que 2021 peut être un vrai moment pour l’Union si elle arrive à donner un contenu concret au bel objectif de « souveraineté européenne ».
Europe de l’Est
Ces pays se sont voulus « otaniens » avant d’être européens. La sécurité avant tout.
F
Fleuves
Mais les fleuves qui vont faire l’actualité demain sont ceux qui seront disputés entre voisins, en amont et en aval, pour le partage de leurs eaux.
Francophonie
C’est quand la structure, la syntaxe, la grammaire sont attaquées ou délaissées qu’il faut réagir.
G.
GAFAM
Oui, ils ont changé nos modes de vie. Et, en 2018, Google plus Amazon équivalaient au PIB de la France.
Gaulle, Charles de
De Gaulle est comme un roc qui émerge d’un passé embrumé par l’affaiblissement de la transmission historique, salué même par d’anciens soixante-huitards qui l’avaient conspué comme fasciste !
Génocide
Au-delà de la condamnation, les génocides du XXème siècle reconnus comme tels (outre la Shoah, les génocides arménien, cambodgien, rwandais et, dans une moindre mesure, en Namibie) font l’objet de travaux d’historiens…
Géographie
Elle redevient essentielle.
Géopolitique
Elle consiste tout simplement en l’étude des interactions entre la géographie, l’histoire et la politique internationale.
H
Hitler, Adolf
Quoi qu’il en soit, le XXème siècle aura été celui des plus grands totalitarismes et des plus grands massacres.
Hyperpuissance
Les Etats-Unis, même challengés, gardent en propre plusieurs éléments de puissance : la suprématie militaire, la suprématie technologique, les GAFAM, la pratique scandaleuse de sanctionner unilatéralement pays, entreprises ou industries, hors du cadre de l’ONU et sans crainte de représailles ! Le dollar fait la loi.
I
Inde
Ce qui m’impressionne le plus en Inde : la mondialisation américano-globale ne l’a pas dissoute. Elle est restée en profondeur un monde différent, comme le Japon.
Indo-Pacifique
Il s’agit bien d’établir entre toutes les puissances de ces régions (Japon, Vietnam, Australie, Inde, Indonésie) des liens stratégiques, pour résister à toute hégémonie, c’est-à-dire en clair, celle de la Chine.
Infrastructures
Maillage essentiel de la globalisation. Manifestation de modernité, de puissance économique, mais aussi de vulnérabilité.
Intelligence artificielle
La diffusion de l’IA va-t-elle donner à la puissance qui la maîtrisera le mieux un pouvoir irrattrapable pour supplanter, connaître, affaiblir, voire asservir tous les autres, par une cybersupériorité, une cybersuprématie ?
Irrealpolitik
La realpolitik, qui conduit à des compromis, a fait historiquement moins de ravages que l’irréalisme, l’utopisme, le chimérisme, ce que j’appelle l’irrealpolitik, qui peut elle aussi conduire à un fanatisme.
Islam
Conduit une importante minorité des 1,8 milliard de musulmans au fondamentalisme, au wahhabisme, au djihadisme, puis, dans quelques rares cas, au terrorisme. Mais les terroristes n’ont pas besoin d’être nombreux pour terroriser.
Israël
Israël sera vraiment en sécurité quand les peuples arabes, et pas seulement leurs dirigeants, l’auront reconnu et admis comme voisin.
J
Japon
Il est aujourd’hui membre du G7, encore la troisième économie mondiale, quoique stagnant depuis des années, et sa population (126 millions) baisse de 0,16% par an.
Justice internationale
Plusieurs Etats très importants n’ont pas ratifié la CPI : Etats-Unis, Israël, Russie, Chine, Inde, plusieurs pays arabes.
L
Lieux de pouvoir
Jamais rassasiée, la transparence boulimique alimente le complotisme au lieu de l’apaiser.
Et si les vrais lieux de pouvoir étaient ailleurs : à la Bourse de New York, dans la Silicon Valley ou à Shenzen, dans les sièges des entreprises mondiales de toutes nationalités, dans les télévisions d’information continue, ou bien partout et nulle part en même temps, dans l’âge de la démocratie d’opinion et des lyncheurs numériques ?
M
Migrations
Depuis les années 2000, selon l’ONU, environ 190 millions d’hommes et de femmes bougent chaque année, soit 2 à 3% de la population mondiale. « Bouger » ne veut pas dire émigrer. Cela englobe les mouvements à l’intérieur de chaque pays, mais aussi d’un pays à l’autre, voire d’un continent à l’autre.
Mondialisation/démondialisation
La mondialisation à marche forcée telle qu’elle a été menée a été trop brutale, trop dérangeante, trop perturbatrice, trop insécurisante culturellement pour la plupart des peuples. Elle a provoqué en retour de puissants réflexes identitaires défensifs.
Multinationales
Les multinationales sont devenues une figure clé de la mondialisation dérégulée et, s’agissant des banques et des fonds de toutes sortes, financiarisée.
Mythes
Jamais les êtres humains n’ont été autant formés, informés, connectés. Cela les rend-il plus rationnels et raisonnables ? Visiblement non…Les mythes ont de beaux jours devant eux, à commencer par la croyance dans le complot, plus vivace que jamais.
N
Nucléaire
En bonne logique, la priorité écologique devrait être de réduire d’abord le charbon, ensuite les schistes bitumineux, puis les autres pétroles, plus tard le gaz, et plus tard encore, le nucléaire, dès que les énergies renouvelables seront compétitives et que l’on pourra stocker durablement l’énergie solaire.
O
Océans
La pression pour exploiter les océans, leur contenu, leur sous-sol, va s’intensifier…Il faut donc absolument compléter Montego Bay…Ce serait une mise en œuvre utile du « multilatéralisme ».
Opinion publique
Les populations réagissent à chaud et sont tentées de se passer de représentants. Péril mortel pour la démocratie représentative.
Demain ? Démocratie d’opinion, bateaux ivres ? Qu’en penser, vu de Pékin ?
Ordre mondial
Pendant ce temps-là, le monde continue, dans le désordre de la lutte des puissances, une mêlée, une foire d’empoigne et un système économique fou, secoué d’angoisses périodiques.
P
Palestine
En 2021, il est visible que Benjamin Netanyahou, au pouvoir avec le Likoud et divers alliés extrémistes depuis juin 1996, a réussi à quasiment éteindre tout soutien extérieur à un Etat palestinien.
Passé
« Le passé n’est pas mort, a écrit Faulkner dans Requiem pour une nonne en 1951, il n’est même pas passé. »
Populisme
La dénonciation du populisme est d’autant plus vaine que ce dernier n’a pas de définition claire.
C’est peut-être LE problème de l’Europe et des autres démocraties aujourd’hui. Et partout où il y a des peuples !
R
Réalisme (Realpolitik, irrealpolitik)
Le réalisme est une honnêteté intellectuelle : voir les choses comme elles sont. Il s’oppose donc à l’idéalisme (platonicien ou wilsonien), au chimérisme, à la démagogie…Le réalisme de l’analyse n’empêche pas l’idéalisme des ambitions.
Ressources (Compétition pour l’accès aux)
A notre époque, dans le cadre de l’économie de marché mondialisée, dérégulée et (trop) financiarisée, la compétition s’est étendue au monde entier et à toutes les ressources : toujours le pétrole et le gaz, mais aussi uranium, métaux précieux, or, lithium, terres rares indispensables aux technologies numériques, terres cultivables, sable, eau potable et, finalement…espace disponible.
Non seulement cela annonce des catastrophes écologiques cumulatives et exponentielles, mais aussi des compétitions de plus en plus dures, et donc des risques accrus d’affrontement.
S
Sanctions
Au semi-chaos mondial actuel s’ajoute une bataille de sanctions et de prises d’otages croisées.
Sécurité
L’aspiration à la sécurité ne peut que croître dans un monde anxiogène, très peuplé, connecté, interdépendant donc multi-dépendant et instable : chaos géopolitique, foire d’empoigne entre puissances, comptes à rebours démographique et écologique, choc et mutation numérique, flux migratoires, risques sanitaires, etc…Il faut répondre à ces demandes de sécurité en les canalisant pour les apaiser.
Shoah
L’horreur de la Shoah (comparable à rien d’autre dans l’histoire connue de l’espèce humaine) a donné naissance, au tribunal de Nuremberg, aux concepts de génocide et de crimes contre l’humanité devenus imprescriptibles.
Souveraineté
Mais est-on souverain dans le monde dominé par les Etats-Unis et la Chine, leurs GAFAM et BATX, par le dollar, par les sanctions extraterritoriales américaines, etc. ? Certains sont plus souverains que d’autres…Et il y a l’Union européenne : pot au noir, ou levier ?
Stratégie (stratège)
Sun Tzu, Clausewitz sont des penseurs stratégiques, Machiavel un stratège politique. Et il y a des grands capitaines qui sont aussi des stratèges : Napoléon.
T
Tiers-Monde
Le cyclone de la mondialisation redessine la carte des pays : émergents, réémergents, émergés, toujours en voie de développement ou moins avancés (PMA), stagnants ou faillis.
Traités
Il faudra d’autres traités commerciaux, technologiques, écologiques et toujours plus de négociations, et donc de négociateurs aguerris.
U
Uchronie
L’uchronie, ou alternative history, est la réécriture de l’Histoire à partir de la modification d’un événement passé.
URSS
Immense continent englouti qui a marqué au fer rouge le XXème siècle, de 1917 à 1991…Pendant ces décennies, l’URSS a été La Mecque pour des dizaines de millions de communistes, de compagnons de route, de progressistes, d’antifascistes dans le monde qui voyaient en elle le berceau de l’homme nouveau et la révolution comme une épreuve régénératrice.
V
Valeurs
Pour les Occidentaux, puissances installées, mis sur la défensive face aux émergents, leurs valeurs sont universelles, cela ne se discute pas. Tout « relativisme » est scandaleux et prohibé. Mais si l’univers tout entier ne reconnaît pas leurs valeurs comme étant universelles ? Et si la Chine ose prétendre qu’elle a son propre système de valeurs ? Et que dans des démocraties des peuples votent pour des programmes « illibéraux » ? Révoltant ! Incompréhensible ! Pire que cornélien.
Y
Yalta
Le mythe de Yalta (surtout en France, par dépit de ne pas y être) est celui d’un partage du monde et d’un abandon cynique de l’Europe de l’Est.
La vie des morts de Jean-Marie Laclavetine - Gallimard
Émetteur du résumé: François C.
Certains voient Jésus ou la Vierge, j’ai vu Porthos, je l’ai senti si proche au moment de sa mort qu’il m’a permis d’approcher ce mystère comme je ne l’avais jamais fait auparavant.Voilà ce qui rend la littérature supérieure à la vie ordinaire : elle offre des territoires sauvages, inviolés, où l’on se promène dans une solitude enivrante ; mais on y est relié à l’humanité entière, tout peut y être partagé, la solitude y est peuplée, traversée par d’innombrables ruisseaux de vie, ce voyage est sans fin.
Tous ces signes me ramenaient non seulement à notre histoire, mais surtout à la puissance mystérieuse de l’écriture, à ce qu’elle rend possible, à ce qu’elle délivre ou dénoue.
A ceux qui m’ont demandé si la rédaction de ce livre avait apaisé la douleur de la perte, j’ai dû répondre que non, bien au contraire ; tu es plus réelle, plus vivante que tu ne l’étais avant que je n’entame ce travail, et tu me manques d’autant plus aujourd’hui. La littérature, décidément, ne soigne rien. Elle se contente de nous rendre vivants.
Et toi aussi, Annie, tu vis de l’étrange vie des morts, qui s’occupent à relier entre eux les vivants, ceux qui l’ont été, ceux qui le seront.
La littérature est bien cette force silencieuse qui relie, qui se ramifie, favorise la propagation d’un réseau complexe d’émotions, de souvenirs, de savoirs. Elle traverse les frontières géographiques, temporelles ou de classe, elle bondit par-dessus les murs et les mers.
Nous sommes agités de souvenirs qui nous transforment tout en se transformant eux-mêmes. Rien ne dure, tout est mouvant, nous ne retrouverons jamais cet instant précieux de tête-à-tête avec un être aimé qui nous a changé…
Ce que nous perdons dans l’absence de l’autre, ce n’est pas seulement un être cher, c’est un moment de nous-mêmes que nous ne retrouverons jamais.
On écrit avec ça : la colère, l’enfance, les beautés perdues, les beautés à venir, l’émerveillement du présent, la rage du manque, le désir inassouvi, la soif de rencontres, le besoin de tout dévorer.
Je pourrais continuer longtemps à dévider la litanie des coïncidences et des rencontres, des témoignages et des confidences.
Il se demande si le souvenir des grands tremblements de terre qui secouent notre existence n’occulte pas les mini-séismes, les secousses presque imperceptibles qui ébranlent l’édifice sans qu’on y prenne garde et lui impriment peu à peu sa forme.
Entre le moment où le signal est donné, à la faveur d’une banale analyse de sang ou de la découverte d’un grain de beauté bizarre, la vie prend des allures de grand huit, accélérations soudaines, pentes à quarante degrés, tête à l’envers, nausée, et déjà c’est la fin du numéro.
Elle serait là dans nos gestes quotidiens, dans nos pensées infimes, parce que rien ne se perd quand on s’aime comme nous nous aimions, comme elle nous aimait, sans faire d’histoires ni de complications.
Elle expliquait dans l’un d’entre eux que l’idéogramme chinois signifiant « écrire » est formé d’un toit, de deux mains et du signe qui veut dire « changer l’ordre des choses ». Comme ses personnages, Lisa tentait de mettre de l’ordre dans un réel mouvant et insaisissable.
Un tome après l’autre, de 1999 à 2015, Siné a déroulé une sorte de tapisserie de Bayeux à l’usage des malpolis et des sans-dents, un petit précis illustré de la colère sociale et des joies toutes simples.
Où que je regarde, l’amitié est partout, essentielle, vitale, elle forme autour de moi un halo bienfaisant, je lui ai consacré beaucoup d’énergie, d’attention. Guy me disait que l’amitié est comme une plante : on doit lui prodiguer des soins constants, l’arroser quand c’est nécessaire, la préserver du soleil ou de l’ombre sous peine de la voir se flétrir. Elle n’est pas donnée une fois pour toutes, pas plus que l’amour ; comme l’amour, elle est le fruit du travail et de la patience.
Que de souvenirs dans ces lieux, que de moments heureux et profonds…A l’abri du jour et de ses tracas, nous passions là des heures sans minutes, délivrés du temps.
Cela n’a rien de délibéré. Cela vient sans doute d’une méfiance instinctive vis-à-vis des chemins tracés, des corps constitués, des cultures de groupe, des milieux hermétiques organisés autour du seul impératif de la reproduction sociale.
L’Orient est compliqué, il sent le poivre et l’opium, les longues expéditions à dos de chameau, le beurre de yack et la soie onéreuse. L’Ouest, c’est l’immensité vert-bleu, les danses du vent en jupe d’écume, le mystère des Sargasses, le fraîchin odorant, les cirés luisants dans les aubes glaciales, le soleil qui éclate soudain sur une mer d’étain, le pressentiment des naufrages et le rire des pirates, le frémissement des élingues dans des ports jamais tranquilles. C’est dans ce rêve occidental que nous avons grandi.
CITATIONS DANS LE TEXTE :
S. de Beauvoir “Il y a des jours si beaux qu’on a envie de briller comme le soleil, c’est-à-dire d’éclabousser la terre avec des mots ; il y a des heures si noires qu’il ne reste plus d’autre espoir que ce cri qu’on voudrait pousser…Sans doute les mots universels, éternels, présence de tous à chacun, sont-ils le seul transcendant que je reconnaisse et qui m’émeuve. Ils vibrent dans ma bouche et par eux je communie avec l’humanité. Ils arrachent à l’instant et sa contingence les larmes, la nuit, la mort même, et les transfigurent.”
Kundera Car, d’emblée, tout est clair : “la vie humaine, en tant que telle, est défaite, la seule chose qui nous reste face à cette inéluctable défaite qu’on appelle la vie est d’essayer de la comprendre.”
L'ami arménien d'Andreï Makine - Grasset
Émetteur du résumé: François C.
Comme si, depuis longtemps, il avait appris ce qui pouvait persister d’essentiel et de sublime au-delà de nos enveloppes charnelles. Comme si, venant parmi nous, il avait gardé en lui le reflet d’un monde infiniment étranger à ce que les hommes vivaient sur cette terre.La population du Bout comptait bon nombre d’anciens prisonniers, d’aventuriers vieillis et fourbus, de déracinés hagards qui -comme souvent en Sibérie- avaient, pour toute biographie, la seule géographie de leurs errances.
C’était un art commun aux peuples familiers des bannissements et des exodes, forcés de recréer, indéfiniment, leur espace vital -leur patrie transportée dans leurs maigres bagages. Oui, de gravir les tréteaux d’une existence vacillante, d’installer un décor où se joue le drame de leurs exils.
Gulizar était une de ces véritables « filles du Caucase » que chantaient leurs strophes, une nature ardente et hardie.
Après un temps de répit, son mal « arménien » revenait -obstruant ses poumons ou l’atteignant aux articulations et le rendant lent et claudiquant, ou bien, plus fréquemment encore, lui jetant au visage et au corps ces plaques rougeâtres dont nos condisciples n’hésitaient pas à se montrer dégoûtés et moqueurs.
Epoustouflé, je ne parvenais pas à retenir la suite des royaumes qui, sur cette terre antique d’Arménie, se créaient, resplendissaient, s’écroulaient sous les coups de boutoir des envahisseurs.
Le match qui venait de se terminer m’apparut telle la préfiguration de toute une existence, cette guerre d’usure qui ne leur laisserait pas le temps de lever les yeux vers le mouvement des oiseaux éclairés par le soir d’une fin d’été. Je me sentis péniblement muet, ne sachant pas encore que le désir de partager cet instant de beauté était le sens même de la création, l’aspiration véritable des poètes et qui restait le plus souvent incomprise.
Admiration, adoration, coup de foudre, émerveillement, tout cela, dans son abstraction livresque, n’avait aucun rapport avec ce que j’éprouvais. La seule empreinte de ses souliers laissée dans la poussière le long de la voie ferrée abandonnée -cette marque fine et délicatement imprimée- me déplaçait dans un univers où chaque objet espérait recevoir un autre nom.
Je compris que nos vies glissaient tout le temps au bord de l’abîme et que, d’un simple geste, nous pouvions aider l’autre, le retenir d’une chute, le sauver. Presque par jeu, nous étions capables d’être un dieu pour notre prochain.
Bien des années plus tard, j’apprendrais qu’il s’agissait d’un million et demi de personnes anéanties.
L’infériorité que nous éprouvions tous à l’orphelinat nous faisait fantasmer sur les avantages dont les enfants « normaux » pouvaient se prévaloir. Vardan, devenant un sang-mêlé, sans père connu et orphelin de mère, se rapprocha de nous, rompant notre statut de parias et, bien qu’inconsciemment, j’en concevais pour lui une certaine gratitude.
La rapidité avec laquelle ma vie sembla basculer rappelait cet intervalle entre le moment où nous sentons une tasse échapper à nos mains et le bruit d’éclatement.
Un monde régi par une seule règle : la cruauté et le dédain pour la moindre défaillance, une haine bien plus impitoyable que dans les cellules des adultes.
Ainsi, les fous et les poètes échappent-ils parfois à la nasse de cette existence commune, légitimée par nos habitudes, nos peurs, notre incapacité d’aimer.
Non, la vraie leçon était autre : l’invraisemblable rapidité avec laquelle la routine de la vie effaçait les événements qui semblaient d’une si haute importance, les personnes qui, quelques jours auparavant, constituaient la part la plus précieuse de nous-mêmes.
Au milieu des mille souvenirs évanouis et des jours effacés dont mon existence serait faite, la permanence de ces visages d’inconnus ne cesserait de me surprendre.
Je devinais que le seul mystère digne d’être sondé se cachait dans notre capacité à résister à ce flot d’inepties qui nous entraînait loin du passé où nous avions égaré l’essentiel de nous-mêmes.
Et c’est en vieillissant que j’ai pris conscience que je me retrouvais désormais à égalité avec cet enfant et que je vivais comme lui, et comme nous tous, l’épuisement de plus en plus accéléré du risible nombre de jours qui nous séparent de la mort.
Sans s’en rendre pleinement compte, il vivait avec le sentiment de ne plus avoir une minute à perdre en s’engageant dans les jeux de rivalités et de désirs, cette farce humaine qui nous attirait tant. Le peu de jours qui lui restaient à vivre devaient servir à l’essentiel.
Le Pays des Contes- Cris Colfer
Coup de cœur de Camille D. un bébé (NONN!!) stagiaire: Avez-vous déjà voulu rencontrer Boucle d’Or, Le Petit Chaperon Rouge ou encore Blanche neige?
Alex et Conner, se retrouvent, par le biais d’un grimoire enchanté, dans un monde où ces personnages de nos contes vivent tous.
Mais ce n’est pas comme vous l’imaginez, là-bas, Boucle d’Or est une criminelle recherchée, Blanche Neige dissimule un lourd secret et le Loup ne fait même pas peur au petit Chaperon Rouge!
Les frères et sœur n’ont qu’une solution pour quitter cet univers, rassembler huit objets magiques… Une tâche qui aurait été plus aisée si la Méchante Reine n’avait pas dans l’idée de leur mettre des bâtons dans les roues, cette dernière a même l’ambition de les enfermer pour toujours et à jamais dans ce monde qu’ils souhaitent quitter.
Une histoire, qui nous replonge en enfance au milieu des contes de notre jeunesse. Une aventure qui nous fait voir d’une manière nouvelle et moderne tous ces contes qui ont bercé notre enfance. De Blanche-Neige au Petit Chaperon Rouge en passant par Jack et le haricot magique. Tous ces personnages sont là pour nous jouer une histoire nostalgiquement magique.
La rencontre Une philosophie de Charles Pépin - Allary
Émetteur du résumé: François C.
I LES SIGNES DE LA RENCONTRE
1.1 Je suis troublé Quand se fissure ma carapace
Grâce à la rencontre de Robert, au cœur même du trouble de la rencontre, elle s’est découverte autre et c’est cette autre devenue véritablement elle-même qui l’accompagnera jusqu’au bout.La rencontre redonne droit de cité au moi profond. D’où ce sentiment si fort, au cœur du trouble qu’elle provoque, d’exister pleinement, d’exister enfin. Le moi profond ne se laisse plus recouvrir par le moi social ; il le déborde soudain. Le trouble indique le chemin parcouru, parfois en un temps record.
1.2 Je te reconnais Quand le hasard ressemble au destin
Nous passons nos vies à douter, mais certaines rencontres ont le pouvoir de nous délivrer, parfois d’un seul geste, « le temps d’un battement de paupières ». Que réveillent-elles en nous, qui ne laisse plus de place à l’incertitude ? Que rencontrons-nous alors ?
1.3 Je suis curieux de toi Quand j’ai envie de découvrir ton monde
Rencontrer quelqu’un, c’est se trouver projeté au seuil d’un monde nouveau, happé par l’envie de l’explorer ; c’est une invitation au voyage.
On désire tout un monde, celui qui est associé à l’être rencontré et dont on ne devine d’abord que les reliefs, un monde fait d’habitude, de gestes, d’amis et d’ennemis, d’émotions, de perceptions, de souvenirs…
1.4 J’ai envie de me lancer Quand l’autre me donne des ailes
Une rencontre marque parfois aussi la naissance d’un projet…la rencontre crée un désir, ouvre un champ de possibles, il faut s’y engouffrer.
Nous pouvons tous sentir, en rencontrant quelqu’un, que nous allons inventer quelque chose.
Plus tard, lorsque la rencontre aura porté ses fruits, nous nous souviendrons avec émotion de cette excitation initiale, de ce moment où il nous est apparu que tout devenait possible…Nous aurons le cœur plein de la joie d’avoir créé plus grand que soi.
1.5 Je découvre ton point de vue Quand je fais l’expérience de ton altérité
Quand cet autre devient mon amour, mon ami, mon partenaire, lorsque je ne peux plus vivre un événement sans le ressentir également à travers lui, alors je sais que je l’ai vraiment rencontré : je fais dans la durée l’expérience de sa différence, de son altérité.
Si l’amour est « construction », c’est en se continuant que la rencontre manifeste toute sa puissance : le véritable émerveillement est moins dans le coup de foudre initial que dans le temps nécessaire pour essayer de « faire le tour de la différence » de l’autre et découvrir, ébloui, qu’il est lui aussi un centre, un sujet, un point d’observation de la richesse du monde.
1.6 J’ai changé Quand l’autre fait de moi quelqu’un d’autre
L’expérience de l’altérité finit tôt ou tard par produire des effets : plus encore que découvrir un point de vue, je change à ton contact. J’ai pris une nouvelle voie, modifié quelques-unes de mes habitudes, de mes opinions également, mes goûts ont évolué, et dans certaines situations je ne réagis plus de la même façon -bref j’ai changé. En mieux ou non qu’importe. La preuve la plus tangible que je t’ai rencontré est là : je mène différemment la barque de mon existence.
Telle est la véritable force de la rencontre : une puissance de changement.
1.7 Je me sens responsable de toi Quand l’autre me révèle ma nature morale
Le changement provoqué en nous par la rencontre peut être aussi d’ordre moral. Parce que je t’ai rencontré, parce que nous nous sommes retrouvés face à face et que j’ai été touché par ta fragilité, je suis soudain arraché à mon égoïsme naturel ou au moins à mon indifférence ; je me sens responsable d’un autre que moi. Te rencontrer me révèle alors ma nature morale.
1.8 Je suis vivant Quand l’autre me sauve la vie
Une de ces personnes de notre entourage que Boris Cyrulnik nomme « tuteurs de résilience » et qui sont capables, par le soin, l’attention ou l’amour qu’elles nous portent, de nous aider à nous relever après un drame.
Le trouble, la curiosité, la reconnaissance et l’envie de se lancer sont les premiers signes de la rencontre en train de se faire. Puis l’expérience de l’altérité, le changement, la responsabilité et le salut sont les signes d’une rencontre se continuant, et produisant ses effets.
II. LES CONDITIONS DE LA RENCONTRE
2.1 Sortir de chez soi Une philosophie de l’action
La contingence -ce qui est mais aurait pu ne pas être- s’oppose à l’idée de nécessité, ou de déterminisme -ce qui est et ne pouvait pas ne pas être.
Mais dans un monde contingent, l’action devient un ressort décisif. En me mettant en mouvement, je produis des changements, dont je ne peux mesurer précisément les effets, mais qui influeront sur la chaîne de causalité ; agir reconfigure le monde, rebat les cartes.
Nourrir sa vie intérieure puis s’aventurer à l’extérieur, rentrer en soi puis sortir de chez soi : cette attitude, comme une sorte de pas de deux, favorise les rencontres davantage que l’effort insistant pour entrer en contact avec l’autre.
Nous ne savons pas, avant d’agir, ce que notre action produira dans le monde. Mais nous devons y aller malgré tout ; c’est là toute la beauté de la prise de risque, le sel de l’existence ; c’est l’essence même d’une philosophie de l’action.
Ce mantra « j’y vais-je vois » était une invitation à réunir les deux conditions nécessaires à la survenue d’un événement, à la rencontre : sortir de chez soi, mais aussi être prêt à accueillir ce qui se présente, le bon comme le mauvais. Se lancer, mais moins tendu vers l’objectif que l’esprit ouvert, moins concentré sur le but qu’attentif à tout le reste.
2.2 Ne rien attendre de précis Eloge de la disponibilité
D’une certaine manière, moins nos attentes seront précises, plus elles ouvriront le champ de notre vision, de notre rapport au monde et aux autres.
Il avait oublié qu’une rencontre a justement le pouvoir de redistribuer nos attentes, nos désirs, nos idées mêmes des choses et de la vie…savoir que nous pouvons nous tromper sur nos attentes peut nous convaincre de nous ouvrir à ce que nous n’attendons pas.
Le poète peut d’ailleurs être défini comme cet être absolument disponible à l’inattendu, à l’accueil de ce qui vient -mots, idées, images, émotions.
J’accueillais un présent sans rien lui demander d’autre que d’être là, et c’est précisément pour cette raison qu’il a ouvert un avenir.
« Attendus » au sens non d’une attente précise, mais d’une attention pleine, ouverte, partagée, vivante. Une attente oui, mais sans véritable objet.
2.3 Tomber le masque La puissance de la vulnérabilité
Avoir confiance, c’est s’élancer malgré le doute, apprendre à accepter et même à embrasser l’incertitude malgré l’appréhension, ne pas chercher à se rassurer en l’évacuant.
Se montrer vulnérable, se mettre « à nu », ne plus avancer masqué, requiert confiance en nous-mêmes et en autrui pour oser dévoiler son intimité à l’inconnu.
III. LA VRAIE VIE EST RENCONTRE
3.1. La rencontre comme propre de l’homme Une lecture anthropologique
D’après Aristote, l’homme est un animal inachevé, un être riche de potentialités mais qui restent à accomplir, ses nombreuses dispositions nécessitant une « actualisation ».
Le biologiste néerlandais Louis Bolk caractérisera l’espèce humaine par cette prématuration qu’il appellera « néoténie ».
Suite à la gestation et à la naissance, il nous manque donc encore au bas mot neuf mois pour atteindre une première forme achevée. Nous sommes une espèce de grands prématurés. La cause en est sans doute la bipédie.
3.2. Je te rencontre, donc j’existe Une lecture existentialiste
L’existence, c’est être sans cesse jeté « devant » soi, hors de soi. Et la rencontre est cet événement qui, par excellence, me jette devant moi, m’invite à sortir de moi pour m’engager dans l’avenir, dans le monde -pour devenir et non simplement être.
Il serait donc plus juste de dire : exister, c’est dépendre. Et même « aimer dépendre » ; embrasser sans réserve une vie « hors de soi ». Belle leçon de la rencontre, qui est aussi celle de l’amour : notre vérité n’est pas en nous, mais entre nous.
3.3. Rencontrer le mystère Une lecture religieuse
« C’est parce qu’il y a un Tu que le Je trouve son sens et vit sa véritable vie », écrit Martin Buber dans Je et Tu.
3.4. Rencontrer son désir Une lecture psychanalytique
Nos grandes rencontres nous convoquent doublement : elles nous emportent avec tout notre passé, le font remonter souvent inconsciemment, puis elles nous propulsent vers l’avenir. Elles nous offrent l’opportunité de mieux comprendre notre désir, sa nature toujours composite. Il est en partie le produit de notre passé, en partie l’œuvre de nos rencontres. Il est un héritage, mais également une fondation. Toute véritable rencontre est rencontre de son désir.
3.5. Rencontrer l’autre pour se rencontrer Une lecture dialectique
Pour Buber, Freud, Levinas, Sartre, mais aussi Husserl, Merleau-Ponty, Derrida…, c’est au contact de l’autre, tout contre lui, que je peux espérer me découvrir.
Tu m’intéresses parce que tu es autre, et parce qu’à ton contact, je peux devenir autre : comment faire la part des choses ? La vraie vie est ainsi : il est parfois impossible de démêler, au cœur d’une rencontre, la fascination désintéressée pour l’autre et le sentiment que ma vie va changer grâce à lui.
Seuls, nous ne sommes rien, nous ne valons rien, nous ne devenons rien. Mais il suffit que je te rencontre, et tout commence.
CITATIONS
R. Char Il faut s’établir à l’extérieur de soi, au bord des larmes et dans l’orbite des famines, si nous voulons que quelque chose hors du commun se produise, qui n’était que pour nous.
P. Eluard Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.
Génération surdiplômée de Monique Dagnaud et Jean-Laurent Cassely - Odile Jacob
Émetteur du résumé: François C.
Introduction – Des 1% (les superriches) aux 20% (les superdiplômés). Changer de regard sur la société
Les 20%, épicentre des sociétés développées. La compétition scolaire, une compétition existentielle. Perspectives d’insertion professionnelle, d’aisance matérielle, de qualité de vie riment avec réussite scolaire. Les anywhere et les somewhere : le partage des sociétés entre les diplômés et les autres. Description d’une polarisation des parcours de vie, des comportements et des représentations.
Le niveau éducatif, maître étalon des disparités. Les 20% Le prolétariat culturel (13% de sans diplôme, 10% de CAP et formation professionnelle courte et 32% de juste bacheliers) ;
Les formations techniques dites courtes de niveau bac + 2 et les licences représentent 22% des nouvelles générations ;
Les masters universitaires ;
Les diplômés des « petites grandes écoles » et des écoles post-bac ;
Les diplômés des très grandes écoles post-prépa.
Les 20% : une société dans la société Postulat : les 20% forment une minisociété aux traits composites, avec ses gardiens du temple et ses contestataires
Pourquoi étudier les 20% ?
Les 1% au cœur des représentations politiques. Entre le 1% qui s’envole et la classe moyenne qui s’étiole : l’émergence des 20% Ces classes moyennes supérieures américaines sont plus riches, plus cultivées, plus compétitives, plus minces, plus sportives, plus décontractées que le reste de la société.
Elite dirigeante, sous-élite (impact socio-économique) et alter-élite (impact socioculturel) : l’archipel des 20% les plus diplômés.
1. Un jour, tu seras un « talent » Du bon élève au « talent »
Les 20%, le vivier des talents Les talents sont censés concilier une large palette de savoir-être, de savoir-faire et de savoir-paraître, de connaissances et d’aptitudes émotionnelles, de rapidité mentale et d’intuition et, last but not least, d’endurance à l’effort.
« Je savais que je voulais faire du conseil depuis l’âge de 11 ans » Maturation précoce, engagement passionné dans un secteur, talent stratégique pour progresser rapidement, pour construire une expertise, souci de se former continuellement et habileté à saisir toutes les occasions de sociabilité, de rebondissement et de prise de risques.
La méritocratie idéalisée, et sans illusions Le fait que le classement scolaire soit biaisé par l’appartenance sociale et surtout l’environnement culturel de l’enfant est un secret de polichinelle.
Le nouveau gagnant n’est plus nécessairement un premier de la classe Ces jeunes ambitionnent de tout mener de front, ou successivement, d’avoir plusieurs vies, et de conjuguer avec virtuosité réussite monétaire, bien-être personnel et participation au mieux-être de la société.
La consécration de l’étudiant globe-trotter En 2019, 10% des élèves des écoles françaises d’ingénieurs et 18% des étudiants des écoles de management débutent leur carrière à l’étranger, majoritairement dans un autre pays européen.
Un « talent » ou une qualité purement différentielle Le « talent » peut être défini comme ce gradient de qualité qui est attribué à un individu à travers des comparaisons dépourvues de repères externes absolus. La difficulté de définir le talent vient de ce qu’il est une qualité purement différentielle.
Les « talents », démiurges du capitalisme d’innovation En gros, trois filières professionnelles dominent aujourd’hui l’économie du software : les financiers/managers/commerciaux/communicants ; les technologues ; les artistes, notamment les designers.
La psyché du premier de la classe. Ethos des « talents » : une vie à se bonifier et à se choisir Ces itinéraires scolaires façonnés par l’effort, la réflexion stratégique et la capacité à saisir les opportunités forgent une mentalité particulière, « la capacité à être entrepreneur de soi-même » Celle-ci implique une impatience permanente à s’améliorer, à aller de l’avant.
L’exigence d’un retour sur investissement De ce marathon, le haut diplômé retire une conviction, celle d’être légitime où qu’il soit, et estime tout naturel de poser ses exigences en matière de contenu et de statut du travail.
L’homogamie des couples qui se forment au sein des surdiplômés Depuis le boom de l’enseignement supérieur et son ouverture aux femmes, plus le niveau de diplôme est élevé, plus on se marie, et plus on se marie entre niveaux universitaires équivalents.
L’incubation des « talents ». De la méritocratie à la parentocracy Selon Phillip Brown, l’ère de la parentocracy correspond à la privatisation familiale du système éducatif, et incarne une époque où l’éducation d’un enfant est essentiellement déterminée par le niveau de revenus et les projections de ses parents.
La douce matrice éducative des familles privilégiées à l’heure de la globalisation Dans ce système de sélection, le capital culturel de la famille d’origine compte davantage que ses ressources économiques : en témoigne la forte surreprésentation des enfants d’enseignants dans le microcosme des grandes écoles.
France/Etats-Unis : la fracture culturelle et la fracture de l’argent Les comportements familiaux de l’aspirational class américaine : parenting intensif dès le premier âge, construction de parcours dans les filières d’excellence, maturation d’un mental tendu vers la confiance en soi et l’éclosion de talents singuliers.
Les blessures de la distance culturelle face aux « talents » Ce vaste élan vers l’éducation supérieure accentue le sentiment d’angoisse de l’avenir quand les attentes (symboliques, sociales et financières) contenues dans l’idée de méritocratie scolaire ne sont pas remplies.
2. Les surdiplômés au travail, entre innovation et impact social Elite, sous-élite, alter-élite : une typologie de la classe diplômée
Trois jeunes actifs diplômés, trois salaires, trois choix de vie La plupart des salaires s’étalent entre 3000 et 6000 euros/mois pour ces trentenaires, en fonction de l’âge et de l’ancienneté. Ils figurent déjà dans les 10% les plus riches (on entre dans cette catégorie à partir d’un revenu mensuel de 3 767 euros bruts pour un individu seul).
Elite, sous-élite, alter-élite : trois nuances de surdiplômés Capitalisme d’innovation (« nouveaux métiers » et nouvelles structures) : professions du changement économique et technologique pour la sous-élite à impact techno-économique ; professions du changement socioculturel et environnemental pour l’alter-élite à impact socio-culturel.
Capitalisme d’organisation (métiers « traditionnels » et bureaucratie : (Petite) bourgeoisie économique traditionnelle pour la sous-élite à impact techno-économique ; (Petite) bourgeoisie culturelle traditionnelle pour l’alter-élite à impact socio-culturel.
Start-upeurs, consultants, écosystème de l’innovation : les nouveaux métiers de la sous-élite. Entrepreneur, le héros de notre temps ? « Ubérisation » et statut d’auto-entrepreneur, d’une part, et essor des petites entreprises innovantes et des consultants, de l’autre, sont les deux faces en miroir d’une même tendance, dont la dynamique séparée renforce les polarisations sociales.
Pourtant, l’image idyllique de la petite entreprise est à l’évidence surcotée, car la réalité est contrastée.
La start-up : le vertige du milliardaire ou le charme de l’esprit bohème ?
La start-up est fondée sur une technologie radicalement nouvelle ou un service innovant. Elle va faire bouger la société, produire de l’inédit, ce qui à sa manière rend à l’auteur du projet sa part de démiurge.
Elle est construite avec des valeurs qui sont en premier lieu le sens et le fun.
Start-upeurs artisans de solutions technologiques Un espace professionnel prospère autour des start-up, sous l’égide de l’échange d’expériences, des conseils, des études de cas, des préoccupations technologiques, des théories sur le management aux recettes des business models. Autour d’elles s’est organisé un marché fécond pour des experts en tous genres…, au point que l’on peut se demander s’il n’existe pas plus de consultants pour start-upeurs que de start-upeurs.
Le master Entrepreneuriat de HEC, fabrique de champions.
Parcours type du start-upeur français Ces trois start-upeurs, au moment de se lancer dans l’entrepreneuriat, ont négocié une rupture conventionnelle avec leur employeur précédent et ont bénéficié du dispositif Accre (Aide aux chômeurs créateurs et repreneurs d’entreprise) dispensé par les Assedic aux chômeurs qui créent leur entreprise.
Mais pourquoi donc créer une start-up ? Pondération des motivations des créateurs d’entreprise : a) travailleur indépendant : travailler pour soi ; aller vite ; gagner de l’argent ou en avoir l’espoir. b) start-up : créer quelque chose de nouveau ; avoir un impact sur le monde ; se sentir fier de son image ; côtoyer les élites. c) PME : être maître de son destin ; construire dans la durée ; gagner de l’argent ou en avoir l’espoir ; croire en ce que l’on fait.
L’alter-élite : changer le monde en mode projet. Les nouveaux entrepreneurs sociaux, ou l’innovation solidaire en bandoulière
Ces nouveaux entrepreneurs se concentrent sur une finalité solidaire, sociale, environnementale à laquelle ils appliquent les méthodes de l’innovation, amenant dans l’ancien monde de la solidarité et de l’associatif un état d’esprit entrepreneurial.
Les alter-consultants et les nouveaux intermédiaires culturels
Ces « communautés », « plateformes », « réseaux », « collectifs » oeuvrent en mode projet, en petites équipes agiles et elles innovent autant par leurs positionnements que par leur fonctionnement interne. Leurs fondateurs sont des millenials, pour la plupart diplômés d’écoles d’ingénieurs et de commerce, tout comme l’écrasante majorité de leurs salariés.
Une génération en recherche de sens…et de process
Responsabilité sociale et environnementale, quête de sens des organisations, innovation produit, événementiel alternatif d’entreprise, méthodes innovantes de travail collaboratif… : domaines dans lesquels les alter-consultants et les nouveaux intermédiaires culturels exercent leurs talents.
Tiers-lieux, coworking, fablabs : les lieux de travail de l’alter-élite
En étudiant certains de ces nouveaux bureaux qui accueillent free-lances, consultants, petites structures, on découvre une autre branche de l’alter-élite, celle des créateurs de tiers-lieux.
Un cas d’étude : Yes We Camp, entrepreneur de vivre-ensemble
Depuis 2013, Yes We Camp met en place des processus de transformation d’espaces définis en microterritoires ouverts, généreux et créatifs. Selon le contexte, ces lieux empruntent les qualités de ce que peuvent être un parc, une école, un centre de soins, un fablab, une place publique ou une plage.
Derrière le succès de Yes We Camp, un entrepreneur de la solidarité.
3. Lieux, modes et styles de vie : les choix des 20% Le grand tri français : une géographie des 20%
Les anywhere de la société française sont principalement les enfants des baby-boomers des classes moyennes et supérieures de province.
Les nouveaux diplômés de la génération montante correspondent donc plutôt à la catégorie des anywhere, ces individus mobiles géographiquement et socialement selon la terminologie de David Goodhart.
136 000 ingénieurs français travaillent à l’étranger, dont près de 79 000 en Europe, près de 25 000 en Amérique du Nord et environ 17 000 en Asie.
Paris et les métropoles TGV : une géographie des 20%
Paris, la ville où les 20% pourraient devenir les 80% : une « ville superstar » qui concentre l’essentiel des entreprises innovantes, des compétences et des capitaux nécessaires à leur développement…L’agglomération parisienne regroupe 1,2 million d’emplois de l’économie de la connaissance (sur un total de 2,8 millions de salariés de celle-ci en France).
Le XIème arrondissement de Paris ou la vi(ll)e rêvée des diplômés : culture Fooding et tendance healthy, ainsi qu’innombrables espaces de coworking et coffee shops où chaque client est muni d’un MacBook.
Le XIème est une sorte de maître étalon de ces quartiers et arrondissements au cœur des richesses immatérielles : bons emplois, bonnes écoles, bons restaurants, haute qualité de vie.
Villes d’ »open space » ou villes « qualité de vie » : le dilemme des 20%.
Un modèle alternatif : la déconnexion entre le lieu de travail et le lieu de vie.
Culture, consommation et styles de vie : entre bien-vivre et alter-consommation
Un marché et une culture de premiers de la classe
L’humoriste qui passe à l’antenne est de nos jours plus fréquemment diplômé d’école de commerce ou agrégé ès lettres qu’ancien préposé à l’accueil ou standardiste de Radio France.
Humour, culture, alimentation, sport : il existe une version bac + 5 d’à peu près tout.
Les nouveaux yuppies ou les métamorphoses de la bourgeoisie française
The Socialite Family (site d’une boutique de décoration et de design parisienne) : éloge du bien-vivre et miroir des couches cultivées.
Entre bien-être et bien-vivre : le style de vie des nouveaux yuppies.
Bien-être : le sport et la discipline au centre de la vie des diplômés.
L’alimentation entre bien vivre et bien-être.
Décroissance, alter-consommation : l’alter-élite ou la politisation des modes de vie
L’alter-élite, une aristocratie de l’alter-consommation.
Du flexitarisme au « modèle amish » : jusqu’où va l’alter-consommation des diplômés ? Réduction de la consommation de viande ; utilisation de couches lavables ; achat de vêtements éthiques…Chez la nouvelle bourgeoisie, le confort et l’esthétique priment : le minimalisme chic l’emportera sur le dénuement, la mode éthique sur Emmaüs, le bio sur le jardin potager, le design DIY sur la récup’ et Naturalia sur l’Amap.
4. Les 20% et la politique : le changement sans le peuple ? La démocratie des surdiplômés
La politique, c’est notre affaire
L’intérêt pour la politique via les moyens d’information suit la courbe ascendante des diplômes et s’intensifie clairement à partir de bac + 5 (48%), connaissant même un net infléchissement à la hausse pour les individus passés par une classe préparatoire (54%).
Les hauts diplômés peuvent-ils à eux seuls gouverner un pays ?
Le diplôme n’apparaît pas comme le paramètre décisif de l’efficacité de l’action politique, alors que bien d’autres qualités demandent d’être mobilisées.
La sous-élite se pense-t-elle comme une élite ?
Un imaginaire élitaire les anime : le souhait d’avoir un impact sur la société, …le désir de participer à l’architecture de l’avenir, mais, pour presque tous, sans pénétrer dans la machinerie du pouvoir. Leur ambition concerne plutôt l’influence culturelle, par l’engagement associatif, par l’exemplarité des choix de mode de vie et par la participation à des innovations sociales ou technologiques.
Les couleurs politiques des 20% : du rose pâle aux mille nuances de vert
Ce qui frappe, c’est la force des corrélations : plus on a suivi des études longues, plus on est polarisé vers la gauche et vers le mouvement écologique.
Les 20% sont-ils (encore) l’avant-garde du changement culturel ?
Alliés des 1%, avant-garde des luttes ou échappée solitaire : les 20% au cœur des représentations politiques
Thèse de la convergence des élites : bloc élitaire (élite dirigeante et catégories supérieures) vs bloc populaire (classes moyennes et populaires) ;
Thèse de la convergence des luttes (élite dirigeante -les 1%-) vs catégories supérieures, classes moyennes et populaires ;
Thèse de l’archipel diplômé, soutenant l’hypothèse d’élites multiples et parfois opposées sur le plan politique (« double libéralisme » vs écologie et « populisme de gauche »).
Les 20% : quel ruissellement culturel ?
La superbe perdue de la Silicon Valley
Aux USA, l’image sémillante de la nouvelle élite à la fois milliardaire et anticonformiste, « riche et hip », s’est assombrie, tout comme l’évangélisme technologique émanant des mêmes milieux.
L’alter-élite et le peuple : la divergence des imaginaires
L’alter-élite semble de plus en plus acquise à l’idée d’une transition du modèle de production et de consommation de masse. Au même moment, les franges basses de la classe moyenne voient s’éloigner le compromis hérité des Trente Glorieuses, celui d’une intégration par le travail, la consommation et les loisirs. Le risque est que la divergence des imaginaires et des sens vers lesquels chacun se tourne aboutisse à une situation d’éclatement des socles de référence.
Changer le monde…ou changer son propre monde ?
La France ne peut se résumer à l’affrontement entre une minorité éclairée, même élargie à un cinquième de sa population, totalement enfermée dans sa propre version du monde, et la masse de celles et ceux qui sont distanciés par la rapidité des transformations à venir. Nous ne ressemblons pas encore au modèle américain. Mais la menace existe.
L’échappée belle des 20% sous la bannière de l’écologie
Pris entre l’opportunité de réinventer leur propre trajectoire, par choix ou par contrainte, et celle de s’engager professionnellement et personnellement dans les nouveaux territoires du développement durable et des questions sanitaires, les 20% sont destinés à donner la boussole de la transition écologique. Restant, une fois encore, les premiers ?
Le prophète et la pandémie de Gilles Kepel - Gallimard
Émetteur du résumé: François C.
Exorde L’an 2020 : la pandémie, le pétrole et le Prophète . La réislamisation de Sainte-Sophie
Ce geste hautement symbolique, enterrant la laïcité kémaliste et exhumant le califat ottoman, se déroule le jour du 97ème anniversaire du traité de Lausanne…Le coup de force de Sainte-Sophie, tout en pourfendant la laïcité, vise du même coup de yatagan à éradiquer la domination saoudienne sur l’islam sunnite, qu’avait assurée la richesse faramineuse de la plus puissante des dynasties de l’or noir.
La pandémie y porte au paroxysme les contradictions que le gouvernement nationalo-islamiste turc cherche à surmonter par la surenchère militaro-religieuse.
. Le processus d’Astana
L’expression désigne le partenariat régional créé entre la Russie, la Turquie et l’Iran (en associé mineur)…Ces trois puissances ont pour objectif commun de profiter du désengagement de Donald Trump du Moyen-Orient pour marginaliser les Etats occidentaux démocratiques, au premier chef l’Europe pourtant riveraine et mitoyenne.
. Le paradoxe libyen
Accord du 27/11/2019 entre le gouvernement libyen d’accord national dirigé par Fayez el-Sarraj et Erdogan : 1. Délimitation d’une zone économique exclusive turco-libyenne en Méditerranée ; 2. Soutien militaire d’Ankara à Tripoli (la troupe est faite de rebelles syriens islamistes, devenus les mercenaires d’Ankara en Libye).
Eté 2020 : allégeance de Malte à la Turquie, qui par sa présence militaire en Tripolitaine dispose désormais des moyens de contrôler les appareillages de boat people. En contrepartie, La Valette peut fournir à Ankara les pistes qui permettraient à ses avions de contrôler le ciel libyen.
. Apocalypse à Beyrouth
Ce cataclysme advient dans un contexte où le pays du Cèdre connaît les pires drames de son siècle d’existence…entre invasions israéliennes et implantations palestiniennes, guerre civile, occupation syrienne, pour finir en tutelle iranienne par Hezbollah interposé.
Une corruption endémique et la déliquescence de l’ensemble des services publics…un tiers des quatre millions de Libanais vivent avec moins de 4 dollars par jour…la livre s’effondre.
I. La fracturation du Golfe . Du Grand Jeu au Monopoly : axe fréro-chiite contre entente d’Abraham
Cette normalisation (accord entre les Emirats arabes unis et Israël) dessine le Grand Jeu en cours qui place en son centre le devenir des conflits syrien, libyen, voire yéménite, et s’emploie à en anticiper les conséquences en restructurant les rapports de force dans l’ensemble de la région Moyen-Orient Méditerranée.
L’ »accord d’Abraham » (13 août 2020) fait de l’Etat juif la charnière d’une entente opposée à l’axe tripartite fréro-chiite, qui s’est structuré durant la deuxième décennie du XXIème siècle entre Turquie, Qatar et Iran.
. Effets induits et effets pervers de l’entente d’Abraham
L’une des clefs de cette stratégie de bascule est l’Irak, libéré de Saddam Hussein à la suite de l’intervention militaire américaine déclenchée en mars 2003, et ultérieurement vassalisée par Téhéran.
Les engagements américains manifestent avec force la volonté d’aider l’Irak à s’émanciper de la suzeraineté iranienne – et de le positionner dans le sillage de l’entente d’Abraham.
Mais le basculement, après celui de l’Irak, de la Syrie et du Liban hors de l’emprise iranienne représenterait une débâcle géostratégique pour le régime de Téhéran qui verrait sapé son principal moyen de chantage sur le système international, à savoir sa capacité militaire de nuisance envers l’Etat juif.
. Les puissances globales au chevet de Mare Nostrum
Dans l’affrontement qui s’installe entre axe fréro-chiite d’un côté et accord d’Abraham de l’autre, deux alliances aux frontières évolutives et aux obligations mutuelles informelles, les puissances globales -les Etats-Unis, l’UE, la Russie et la Chine – s’efforcent plus ou moins de ménager la chèvre et le chou en fonction de leurs intérêts propres, évitant un engagement univoque qui pourrait déboucher par voie de suite sur un conflit mondial.
. Le grand bond en avant chinois
Pour Pékin, désormais engagé dans une compétition planétaire exacerbée contre Washington, la conclusion avec Téhéran en 2020 d‘accords léonins afin de faire de l’Iran une tête de pont des « nouvelles routes de la soie » au Moyen-Orient s’inscrit dans une logique similaire à son implantation à Djibouti – et en Ethiopie. Mais elle heurte de front également les ambitions d’un puissant acteur régional, Abou Dhabi, avec lequel le conflit dans la corne de l’Afrique joue de la sorte un rôle précurseur…Mohammed Ben Zayed dispose, après la conclusion de l’entente abrahamique, d’un très fort soutien d’Israël et des Etats-Unis.
. Le rancissement du croissant chiite
L’assassinat le 3 janvier 2020 de Qassem Solaymani…représente un important tournant, et a mis à mal la stratégie expansionniste de la République islamique jusqu’aux confins méditerranéens (Syrie et Liban).
Retraits tactiques de la République islamique dans deux relais cruciaux du croissant chiite (Irak et Liban).
Téhéran, aux abois, joue sur sa capacité de nuisance - et celle-ci ne saurait être sous-estimée.
. De l’énergie fossile à l’hydrogène vert : la voie étroite de l’Arabie saoudite
Le projet futuriste de la ville intelligente Neom -située aux frontières nord-ouest du territoire saoudien à proximité de la Jordanie, de l’Egypte et d’Israël, et bénéficiant de son propre statut juridique…D’une superficie d’environ 25 000 km2, elle a vocation, en tirant parti d’une exposition exceptionnelle au soleil et au vent, à transformer la pétromonarchie, grâce aux énergies combinées solaire et éolienne à très bas coût de revient, en géant mondial de l’hydrogène vert à l’horizon 2025.
. Yémen :la guerre sans issue
Au choléra et à la diphtérie s’est ajoutée la Covid-19, qui se répand à une vitesse rapide due à la promiscuité, l’absence d’infrastructures sanitaires et de masques, dans un pays où les hôpitaux ont été la cible de multiples bombardements. 80% environ de la population dépend d’une forme ou d’une autre d’aide humanitaire pour survivre.
Champ de bataille par procuration entre les champions des deux alliances régionales qui se sont cristallisées au Moyen-Orient et en Méditerranée, le Yémen a vocation à demeurer une zone de conflit à moyenne puis basse intensité entre celles-ci, jusqu’à ce que l’une d’entre elles fasse basculer en sa faveur le rapport de forces.
. Qatar : la résilience de l’émirat gazier
Le blocus du Qatar (juin 2017) -entraver par asphyxie économique le principal financier des Frères musulmans à travers la région et dans le monde- a constitué en rétrospective l’un des principaux signes annonciateurs de la ligne de faille qui courait entre ces deux camps au Moyen-Orient.
(Coupe du monde de football 2022) Le couronnement triomphal du Qatar attendu à l’occasion de cet événement mondialisé risque ainsi de se transformer en l’acmé de cette maladie caractéristique des pétromonarchies du Golfe, l’hubris.
II. Le Très-Proche-Orient L’expansionnisme de M. Erdogan a interpellé en direct le consensus au parfum munichois de Bruxelles…Les alliances et les ruptures sont soumises en cet automne 2020 à d’incessantes recompositions qui s’accélèrent au gré de la désagrégation du monde multilatéral.
. Populisme islamiste et splendide isolement d’Erdogan
En dépit des rodomontades populistes, le gouvernement turc ne peut se permettre un bras de fer contre une Europe qui serait unie et déterminée, dont il est tributaire infiniment plus qu’elle ne dépend de lui.
La coloration spécifique de la politique turque contemporaine qui adjoint cette touche « eurasiste », anti-occidentale et hostile à l’Union européenne à la teinte islamiste dominante, issue des Frères musulmans.
. L’eurasisme, d’Ankara à Moscou
(Poutine) D’un côté, son culte de la « terre » l’a rapproché de l’extrême droite européenne. De l’autre, elle a agrégé à sa souche panslaviste de manière croissante une composante « turco-islamique », très opportune pour offrir un cadre inclusif à celles des républiques musulmanes qui restaient dans le giron russe, du Tatarstan à la Tchétchénie, ou maintenir le lien avec celles qui étaient devenues indépendantes, comme l’Ouzbékistan ou l’Azerbaïdjan.
. Entre islamisme et irrédentisme
Mais l’équation turque se modifie dans la foulée du putsch manqué de juillet 2016 : l’augmentation de la dose de nationalisme « eurasien » dans la coalition gouvernementale, la méfiance envers Washington soupçonné d’avoir encouragé les conjurés, le rapprochement avec Moscou rebattent les cartes au sud de la frontière (Syrie).
. La réactivation de Hamas
Alors qu’en Syrie, Turcs et Iraniens parrainent deux camps ennemis, ils communient dans le patronage du mouvement palestinien au pouvoir dans la bande de Gaza.
La coordination entre Ankara, Doha et Téhéran par Hezbollah interposé, afin de mettre en orbite le chef du mouvement islamiste palestinien, s’inscrit au cœur de la stratégie de l’axe fréro-chiite face à l’entente abrahamique.
Gaza. Cette enclave côtière de 365 km2 où s’entassent deux millions d’habitants, dont la moitié est âgée de moins de quinze ans, où le taux de fécondité atteint 4,24 enfants par femme et celui du chômage moyen 53%.
L’indépendance de facto de Gaza a érigé ce quasi-Etat en relais par excellence de la stratégie iranienne du croissant chiite.
. Immixtion de Qatar et contradictions d’Israël
Ces contradictions qui paraissent défier la logique s’expliquent par le problème insoluble auquel l’Etat hébreu est confronté dans l’enclave côtière palestinienne, en instance permanente de déflagration sociale.
Il est remarquable que les deux rivaux qu’oppose le blocus de Qatar, Doha et Abou Dhabi, se retrouvent en partenaires respectifs de Gaza cerné par l’Etat juif et de ce dernier.
. L’Etat juif entre impasse palestinienne et boulevard arabe
La formalisation des relations diplomatiques et le développement des liens économiques entre Israël et les Emirats advient alors même que la situation politique intérieure israélienne connaît une double crise (perspective d’investigations policières contre M. Netanyahou et incapacité -septembre 2020- du gouvernement à faire face à la pandémie de la Covid-19).
. Le surpoids égyptien
L’an 2020 est celui où l’Egypte franchit le seuil des 100 millions d’habitants.
Cela a fait de l’Egypte sous la houlette du maréchal Sissi l’un des régimes les plus répressifs du Proche-Orient, en miroir de celui de M. Erdogan (si l’on exclut la Syrie en guerre civile).
. Le Caire dans l’entente d’Abraham
La rente militaire venant du Golfe, qui s’inscrit dans le réseau d’alliance de l’entente d’Abraham, permet à celle-ci de s’appuyer sur une armée d’un demi-million de soldats, beaucoup plus nombreuse que celle des pétromonarchies.
. Le contrôle du Nil
Ce n’est plus à l’embouchure du fleuve que se joue le conflit, mais à ses sources…L’Ethiopie a entrepris en juillet 2020 le remplissage de son « Grand Barrage de la Renaissance ». Avec un réservoir de 80 milliards de m3 localisé sur le Nil bleu, près de la frontière soudanaise, il est destiné à réguler les crues et à fournir le pays et ses voisins en électricité grâce à la plus grande centrale du continent noir.
III. De l’Afrique du Nord aux banlieues de l’Europe . La Libye entre marteau turc et enclume égyptienne
Le Gouvernement d’accord national basé à Tripoli et les Forces armées arabes libyennes de Benghazi (maréchal Haftar).
La ligne de front s’établit à la fin du printemps 2020 dans les environs de Syrte.
L’exploitation rationnelle des immenses réserves de pétrole aurait dû donner à la Libye la prospérité d’une pétromonarchie du golfe Persique. La logique rentière couplée à la dictature erratique de Kadhafi puis aux immenses appétits qu’a ouverts la guerre civile depuis 2011 en ont assuré au contraire la plongée dans une spirale infinie de malheur.
La stabilisation de la Libye et le départ de l’armée turque sont également un enjeu majeur pour l’Union européenne, confrontée à des flux migratoires récurrents en provenance des embarcadères de Tripolitaine.
. Le dilemme migratoire : entre humanitarisme et terrorisme
Le nouveau « pacte migratoire européen » (23 septembre 2020)…converge avec la proposition d’Amnesty International en faisant du sauvetage en mer une « obligation légale » et un « devoir moral » à la charge des Etats littoraux.
L’immigration a-t-elle pour aboutissement une intégration culturelle dans les pays d’accueil dont les nouveaux arrivants ont vocation à partager les valeurs, ou au contraire certains de ceux-ci font-ils peser le risque d’un « séparatisme islamiste » ?
. “La misère de la France est un paradis pour nous”
La Tunisie est louée à l’unisson pour constituer le seul Etat où le printemps arabe de 2011 a abouti à l’institution d’une véritable démocratie - alors que les cinq autres pays concernés ont basculé dans une guerre civile décennale (la Syrie, le Yémen et la Libye voisine) ou une restauration de l’autoritarisme (l’Egypte et Bahreïn)…L’indéniable progrès des libertés publiques est remis en question par une organisation socio-économique dysfonctionnelle marquée par un népotisme et une corruption qui en constituent le socle profond et dont la rémanence est facilitée par ces libertés mêmes.
. Yetnahawou ga’a ! (Qu’on les extirpe tous !)
La crise des hydrocarbures frappe en effet plus durement en Algérie que chez les autres producteurs à cause d’une population comptant 44 millions de bouches à nourrir, qui a quadruplé depuis l’indépendance en 1962…Le secteur représente 97% des exportations, 2/3 des revenus de l’Etat et 1/3 du produit national brut.
Dans cette situation très préoccupante, les privilèges de l’armée apparaissent d’autant plus exorbitants : avec 28% du budget, et 6% du PIB, elle se classe deuxième du monde en valeur relative, derrière l’Arabie saoudite et devant Israël.
Les jeunes algériens se filment souvent sur les embarcations en chantant Nrouhou ga’a (« nous partons tous ») – abandonnant le pays car, comme le dit cette autre rengaine dialectale : Blastak machi fi l’Algérie (tu n’as pas ta place en Algérie).
. Retour aux Banlieues de l’islam
L’usage du terme « islamophobie » a pour objet d’incriminer et de prohiber toute critique du dogme islamique en soi, et notamment de l’interprétation qu’en font les Frères musulmans, les salafistes voire les jihadistes.
La stratégie de victimisation a été notamment portée au paroxysme par le CCIF pour retourner la charge de la preuve contre la société française lorsque des crimes ou attaques jihadistes étaient commis.
. Le jihadisme d’atmosphère
On est passé du jihad réticulaire dont Daesh représentait l’aboutissement, à un jihadisme d’atmosphère, dont le crime de Conflans fournit le paradigme.
L’idéologie déchirant le tissu social afin de séparer « croyants » et « mécréants », « salafiste » d’un côté et « infidèle »…catégories figées qui commencent par fulminer l’anathème de l’exclusion, au moyen d’un « séparatisme » doctrinaire qui déshumanise l’ennemi désigné et interdit de faire société avec lui jusqu’à ce qu’il se soumette ou soit mis à mort.
Ce triple assassinat de Nice…établit un lien préoccupant entre les dynamiques issues de l’Afrique du Nord - pauvreté portée au paroxysme par la Covid-19 et effondrement des cours du baril, déréliction de l’ordre politique, émigration clandestine, prégnance d’une idéologie islamiste radicalisée par la doctrine salafiste de « l’alliance et la rupture » - et celles qui touchent la cohésion sociale et culturelle de l’Europe.
Epilogue Jihadisme d’atmosphère et séparatisme islamiste au miroir géopolitique . Le retour du jihad à Vienne
L’attentat de Vienne du 2 novembre. Cette ville joue plus globalement, dans la Weltanschauung islamiste, un rôle cardinal…Vienne constituait le verrou à l’invasion et l’islamisation du reste du continent, après les Balkans…Dans la mémoire islamique turque, le traumatisme de l’échec à Vienne est aussi tragique qu’est exaltée la prise de Constantinople en 1453.
Des contenus explicites sont mis en ligne sur les réseaux sociaux par des « entrepreneurs de colère », selon l’expression de Bernard Rougier, et deviendront le déclencheur de comportements qui permettent le déport de l’univers virtuel dans le monde réel – sans que la frontière entre l’un et l’autre soit bien claire.
. Témérité et limitations de M. Erdogan
Le maître d’Ankara est en conflit, à la fin de 2020, avec presque tous ses voisins et partenaires, sa seule marge de manœuvre consistant à ne pas nourrir l’ensemble de ses inimitiés simultanément, mais à les utiliser les unes contre les autres à tour de rôle, dans une forme de fuite en avant d’autant plus malaisée à gérer que la situation économico-sociale de la Turquie, otage de ces multiples aventures, ne cesse de se dégrader.
. Faillite des études arabes et impéritie occidentale face à l’islamisme
La France a chèrement payé son incapacité à communiquer en arabe, et la politique à courte vue faisant vertu de l’ignorance de cet idiome dans la certitude qu’il fallait tenir éloignés les arabisants de toute contribution aux politiques publiques sur le sujet du « séparatisme islamiste ».
Le problème posé à nos sociétés par le terrorisme jihadiste et le terreau du séparatisme islamiste dont il se nourrit est assez grave et complexe pour que ni la sottise ni l’ignorance ne concourent à sa résolution. Tout au contraire, elles l’alimentent. Mais nul n’est prophète en son pays.
Petites victoires Et si la transformation du monde commençait par vous ? de Philippe Silberzahn - Diateino
Émetteur du résumé: François C.
Le changement est avant tout social, au sens où il se construit avec d’autres personnes. Les entrepreneurs créent de nouveaux marchés, de nouveaux produits et de nouvelles organisations qui changent le monde en partant de ce qu’ils ont sous la main, en misant seulement ce qu’ils peuvent perdre, en s’associant avec des parties prenantes, et en créant le monde qu’ils veulent, pas celui qui est prédit par d’autres.
Deux principes fondamentaux des petites victoires : elles doivent partir de la réalité qu’elles veulent changer, et donc l’accepter, et elles doivent être coconstruites avec des parties prenantes qui s’engagent en ce sens.
« Viser grand » : les limites d’un modèle mental dominant
. Les limites à « agir grand » : rationalité limitée et problèmes complexes
. Rationalité limitée : étant donné ces limites, que pouvons-nous faire ?
. Problèmes complexes : Un système complexe est constitué d’un grand nombre de sous-systèmes en interaction qui nous empêchent de prévoir son évolution et le comportement de ses acteurs par une analyse préalable.
. Les croyances erronées qui nous amènent à « viser grand »
- La taille des moyens mis en œuvre doit correspondre à l’ampleur des problèmes ;
- Il faut une vision pour résoudre un grand problème ;
- Résoudre un problème complexe est une question de volonté ;
- L’ampleur perçue d’un problème est facteur de mobilisation pour le résoudre ;
- La capacité de résolution d’un problème est liée à la position hiérarchique ;
- Le changement, c’est faire table rase du passé.
Petites victoires. Qu’est-ce qu’une petite victoire ?
- Elle constitue un résultat tangible. C’est une modification réelle d’une situation qui se traduit dans les faits.
- Elle constitue un résultat complet. Le résultat doit avoir une cohérence ; il doit être abouti.
- Elle constitue un résultat mis en œuvre de façon collective.
- Elle constitue un résultat d’importance modérée.
. Intérêt d’une petite victoireElle réduit l’importance de l’enjeu et le risque pris par son initiateur. Elle réduit les exigences nécessaires pour l’accomplir et elle augmente le niveau de compétence perçu.
Une petite victoire est une initiative miniature qui teste des théories implicites sur la résistance et les opportunités.
. Petite victoire et opposition
Après chaque victoire, vous avez plus d’ennemis, et toutes choses égales par ailleurs, plus la victoire est grande, plus vos ennemis sont puissants, nombreux et déterminés.
. Dynamique des petites victoires
Une petite victoire représente un acquis sur lequel on peut capitaliser pour préparer la petite victoire suivante. Les petites victoires sont comme des pierres qu’on empile pour construire un mur.
Partir de la réalité
. La matière première : les modèles mentaux
Le travail de transformation d’une organisation doit commencer par une remise en question des modèles mentaux qui président à son fonctionnement : croyances, hypothèses, bonnes pratiques, traditions, i.e. tout ce qui concourt à former la vision du monde ou de leur environnement qu’ont les collaborateurs et l’organisation dans son ensemble.
. Agir sur les conflits
Un conflit est simplement une rencontre d’éléments, de sentiments et d’objectifs contraires qui s’opposent. Les conflits peuvent être destructeurs, mais ils peuvent être aussi créatifs.
. Faire avec ce que vous avez
Trois ressources dont vous disposez : 1. Vous-même ; 2. Ce que vous connaissez ; 3. Les gens que vous connaissez et sur lesquels vous allez vous appuyer pour avancer.
. Du grand problème à la petite victoire
Il s’agit d’identifier une ligne où les choses se connectent puis d’agir par petites victoires le long de cette ligne. Celle-ci sera toujours propre au problème posé.
. Identifier des liens de propagation : quasi-décomposabilité
Ce qui caractérise un système quasi décomposable est donc que si tout interagit avec tout au sein du système, il est néanmoins possible d’isoler certaines parties homogènes qui interagissent faiblement avec le reste. Ainsi isolées, elles peuvent avoir une taille suffisamment réduite pour être l’objet d’une action humaine par petites victoires.
Coconstruire les petites victoires
Qu’on veuille changer une entreprise, une profession, une administration ou un pays, il s’agit toujours d’un processus social d’intéressement dans lequel ce qu’on développe est l’intérêt des acteurs concernés à faire de la transformation une réussite.
. Articuler l’action individuelle et l’action collective
Lorsque le réseau des parties prenantes intéressées à la réussite de notre projet se développe, on construit une coalition qui pèse de plus en plus, sur des bases solides, car résultant d’actions concrètes.
L’un des intérêts d’ »agir petit » est en effet que l’on obtient plus facilement l’accord des parties prenantes qui ne partagent pas nécessairement vos objectifs généraux : vous visez le plus grand dénominateur commun.
. Déjouer la rationalisation de l’impuissance
Comme activiste, votre premier travail est donc de redonner aux individus autour de vous le sentiment qu’ils peuvent vraiment faire quelque chose, et obtenir une petite victoire est le meilleur moyen pour y arriver.
Une petite victoire donne le sentiment que le progrès est possible, ce qui augmente la confiance et la motivation pour rechercher d’autres victoires, déplaçant le lieu de contrôle vers l’intérieur.
. Intéressement et conflits
C’est d’autant plus important que l’on fait plus attention à ce qu’on peut perdre qu’à ce qu’on peut gagner, pour une raison simple : la perte est certaine, massive, immédiate, tandis que le gain est incertain, faible et éloigné dans le temps.
. Identifier les parties prenantes
Il faut donc voir le réseau des parties prenantes comme un objet en évolution constante en fonction de vos résultats. Ce réseau, qui est votre matière première, doit faire l’objet d’un travail de gestion explicite : recrutement de nouvelles parties prenantes, renforcement des soutiens, neutralisation des oppositions.
Tactique : allumer le feu
. Critères à respecter pour les victoires visées
Quatre critères pour viser une petite victoire : il faut que le résultat visé soit spécifique, réalisable, immédiat et relié à l’intention générale.
Les occasions de petites victoires
La question est de prendre conscience qu’un modèle n’est jamais une vérité universelle. Cette prise de conscience permet alors de tester le modèle et de l’ajuster, et c’est là que se construit la petite victoire.
. Rester dans l’expérience des parties prenantes
Envisager des actions en dehors de l’expérience des parties prenantes est une source d’échec. Cela arrive très souvent lorsqu’un activiste impatient décide une action-choc.
En bref, quand il n’y a pas d’expérience commune, il faut la créer.
. Les petites victoires sont avant tout humaines
L’ampleur du résultat importe moins que le fait de l’atteindre à deux. En tant qu’activiste, votre stratégie est sociale. Votre véritable cible n’est pas tant le résultat que la création de la relation.
. Identifier les volontaires
Votre objectif : constituer une société semi-secrète de volontaires qui partagent les mêmes modèles mentaux, et de l’animer pour permettre son développement en dégageant les obstacles sur son passage.
. Conduire des Post Mortem
Toute initiative, qu’elle se solde en petite victoire ou petit échec, doit faire l’objet d’une analyse de retour d’expérience ou post mortem.
Stratégique : petite victoire deviendra grande
. Small is big
Le changement disruptif est donc non linéaire, i.e. qu’il commence par une période d’incubation parfois très longue sans effet visible suivie d’une période dans laquelle les effets se cumulent et ont un impact massif.
. On ne gagne pas forcément en misant gros
Ils deviennent grands par une série de petites victoires qu’ils consolident.
. Eviter le feu de paille : définir un principe directeur
Le principe directeur est discriminant : il sert à dire non à certaines initiatives, si intéressantes soient-elles par ailleurs. Il sert à économiser l’énergie de l’activiste, mais surtout à donner une cohérence aux initiatives, à les relier entre elles.
. De la petite victoire à la grande solution : interdépendances
Nous avons proposé qu’au lieu de penser « problème découpé en sous-problèmes de plus petite taille », comme le suggère la pensée analytique, un problème soit plutôt abordé sous l’angle des interdépendances entres ses différents composants, et que l’identification de ces interdépendances soit faite à la lumière des modèles mentaux sous-jacents.
Le système garde une identité globale, mais s’appuie sur un ensemble de sous-systèmes plus ou moins autonomes (aspect local), mais jamais totalement séparés (aspect global).
Vous comme activiste
. La tragédie d’Ignace Semmelweis
Son échec est aussi celui de son propre modèle mental, qui consiste à penser qu’il suffit d’avoir raison pour que les autres changent d’avis, et qu’il suffit d’avoir les preuves pour les convaincre. C’est la tragédie de la plupart des activistes.
. Qui êtes-vous ?
L’organisation a besoin d’acteurs qui exposent, testent et ajustent les modèles mentaux en s’incluant dans l’équation, avec humilité, mais aussi avec détermination.
Cinq principes qui peuvent vous guider :
- Ne divisez pas le monde en deux ;
- Pariez sur la sincérité des autres ;
- Examinez le contexte ;
- Intégrez-vous à l’équation ; prenez vos responsabilités et demandez-vous ce que vous pouvez faire au lieu d’attribuer la faute à une personne absente ;
- Refuser de choisir un camp est le premier pas de l’activiste pour reformuler la question et donner une chance au compromis.
. La posture de l’activiste : colibri ou sanglier ?En tant qu’activiste, ne soyez pas un colibri ; ne faites pas votre part : inventez-la en fonction de qui vous êtes.
La question de fond pour tout activiste : que puis-je faire à mon niveau, avec ce que j’ai sous la main, susceptible d’avoir un vrai impact ?
. Deux points de posture
- Le choix des actions, qui doivent avoir un impact.
- Il s’agit, pour un activiste qui ne veut pas être toxique pour son environnement, d’être au clair sur ses motivations et ses valeurs.
. Quelle équipe ?L’apport de l’équipe est de relier la petite victoire à l’ensemble, car sinon celle-ci resterait locale et sans effet réel. L’ensemble est défini par un ou plusieurs principes directeurs, ainsi que par les modèles mentaux de l’organisation : les modèles actuels et les modèles cibles.
Petites victoires et transformation : conflits et modèles mentaux
. Modèles mentaux et prise de décision
Une façon très efficace d’aborder la transformation est de voir qu’une collectivité, quelle qu’elle soit, est définie par un ensemble de modèles mentaux et que ce sont ces modèles qui constituent le blocage.
. Priorités
Plus précisément, les modèles mentaux déterminent ce qui va être important et ce qui va être moins important, i.e. qu’ils vont déterminer les priorités des collaborateurs…Voir le management comme une définition de priorités permet d’expliquer des phénomènes difficilement compréhensibles tels que l’échec face à l’innovation de rupture ou la difficulté de se transformer malgré un objectif très clair.
. Immunité au changement
En fait le comportement le plus général est de se satisfaire d’une situation acceptable, même si elle n’est pas optimale.
Il faut toujours commencer par identifier et par célébrer ce qui a fait la réussite de votre organisation. Une fois cela fait, on pourra identifier les cas où les modes de fonctionnement peuvent être un obstacle à l’innovation…C’est une approche que nous appelons META : Modèles mentaux – Exposer – Tester – Ajuster. C’est l’essence même de l’idée de petite victoire.
Gérez votre risque
. Ne célébrez pas l’échec
Les entrepreneurs ne célèbrent pas l’échec pour la simple raison qu’ils ont réduit le risque et le coût de celui-ci au point qu’il n’ait plus grande importance. Ce qu’il faut célébrer n’est donc pas l’échec, mais l’action mesurée et prudente ; c’est le principe même des petites victoires.
N’adoptez pas une vision romantique
Les principes de contrôle de risque évoqués ici peuvent se résumer ainsi : ne faire que des choses que vous savez faire avec les moyens dont vous disposez, réduire l’ambition de chaque initiative jusqu’au point où la réussite est très probable et où le coût de l’échec est acceptable, et cocréer celle-ci avec une ou plusieurs parties prenantes, chacune misant de façon à ce que la perte soit acceptable pour elle-même, afin de pouvoir recommencer en cas d’échec.
. Petite victoire ne doit pas forcément devenir grande
Réfléchissez bien à l’intérêt de pousser votre série de petites victoires à un niveau plus élevé.
. Risque d’impatience des dirigeants
Avoir un plan permet de leur donner le change, a minima. Le rôle politique de l’équipe est d’acheter du temps par tous les moyens pour laisser les petites victoires commencer à produire leurs effets.
Le « monde d’après » ou la bataille des modèles mentaux
. Changement et identité
Le changement disruptif remet en question l’identité des individus et du collectif…Plus le changement est important, plus cette remise en cause est profonde, et plus les individus vont essayer de s’en protéger.
. L’enjeu : échapper aux modèles tout faits
Chacun avance dans « l’après » en restant bien au pied de son propre lampadaire intellectuel. Alors qu’une crise devrait être l’occasion de revoir ses modèles mentaux, elle est souvent plutôt l’occasion pour chacun de les renforcer et de compter ses troupes.
. Renforcement des modèles mentaux face à la crise
Dans cette situation, l’approche par petites victoires permet de faire naître des alternatives locales qui seront prêtes à devenir globales lorsque les actuels modèles dominants ne seront plus défendables.
. Contrôler la narration avec les modèles mentaux
Outre la gestion de l’événement lui-même, la clé dans une période de rupture va donc consister à gagner la bataille de la narration, celle des modèles mentaux, pour faire accepter le sens que l’on va donner à l’événement.
Petites victoires et grands changements
. Trois critiques de l’approche par petites victoires
- Une approche limitée dans son impact ?
L’approche incrémentale peut conduire à un grand changement à deux conditions : d’une part, elle doit reposer sur le changement des modèles mentaux ; d’autre part, elle doit être guidée par un principe directeur (modèle mental cible, qui permet de relier les petites victoires à une intention générale).- Une approche contre-indiquée en situation de rupture ?
Le principe même de l’approche par petites victoires est de produire des résultats tangibles dès sa mise en œuvre. L’approche est donc beaucoup plus robuste.- Un biais d’action hostile à l’analyse ?
L’essence de l’approche par petites victoires est l’interaction, i.e. une action avec des parties prenantes engagées, et non l’analyse…Procéder par petites victoires est le meilleur moyen de vraiment résoudre ces problèmes. . Les petites victoires permettent de résoudre le dilemme de l’innovateur
Le choix de l’innovateur est entre compromettre son activité actuelle, un risque certain, massif et de court terme, et compromettre son futur marché, un risque moins certain, de moindre importance et d’horizon plus éloigné.
En substance, la rupture correspond à des modèles mentaux alternatifs qui sont toujours considérés comme mineurs au début. D’où l’intérêt de loger l’activité de rupture dans une petite structure et de lui laisser le temps de grandir.
. Les petites victoires, une stratégie complémentaire à d’autres approches
La stratégie des petites victoires est une stratégie additive ou complémentaire. Elle n’empêche pas les grands projets par ailleurs.
Conclusion
Le changement est coconstruit. Il vient du pouvoir, et le pouvoir vient de l’organisation. En tant qu’activiste, vous devez vous organiser pour créer une coalition autour de vos modèles mentaux alternatifs, et vous le faites par une série de petites victoires que vous déterminez en cours de route selon l’évolution de la situation.
C’est une petite victoire, mais elle est à votre portée, et c’est par elle qu’il faut commencer.
Tout est calme, seules les imaginations travaillent, Chroniques d'histoire de Emmanuel de Waresquiel - Tallandier
Émetteur du résumé: François C.
L’Histoire ne se répète pas et pourtant elle est toute remplie d’échos, de reflets, de réminiscences et de rumeurs.
« M. Gide, où en sommes-nous avec le temps? » Les réseaux, l’Internet, le téléphone portable, la réalité virtuelle, bientôt l’intelligence artificielle et les objets connectés renforcent et renforceront encore un peu plus ces nouveaux rapports au temps dans lesquels nous vivons.
Deux siècles de laïcité Notre laïcité, faute de se sentir assez forte ou faute d’être comprise, n’existe plus que dans les invectives et les interdits…C’est bien grâce à sa diversité et jusque dans ses contradictions que l’Histoire peut parfois nous éclairer.
Coquillages et crustacés A force de ne pas aimer nos représentants, on en oublie qu’en France, la politique et la gastronomie ont toujours fait bon ménage.
Je préférerai toujours la bonne cuisine aux arrière-cuisines nauséeuses de la délation et de l’envie.
La guerre d’Algérie : un drame français La conscience, c’est ce qui reste lorsque le drame est consommé. Personne ne peut nous la ravir. Certains préfèrent celle des vainqueurs, d’autres celle des vaincus.
Parlez! Parlez! La propension propre aux régimes démocratiques à se muer en machines administratives et à produire, comme on aurait la courante, autant de décrets, de directives, de circulaires au nom de l’utilité sociale quand ce n’est pas par calcul politique.
A la vérité, nous sommes mauvais perdants. La gloire et le panache des mots nous font merveilleusement oublier nos erreurs et tout simplement notre incapacité à agir. Nous avons la défaite glorieuse.
Mon bureau des légendes A force de miroirs, nos vies en viennent à disparaître. Après tout, Narcisse n’y a pas survécu. C’est peut-être à cause de cela que le secret nous fascine tant. Comme si nous voulions nous sauver de l’universelle transparence par l’ombre et les mystères, des vies à double fond, la peau des masques et des légendes.
Le ministère de la Morale Nous voilà à l’ère du révisionnisme à tous les étages, comme autrefois le gaz. Cela ne s’appelle pas officiellement de la censure, cela relève d’un absurde principe moral qu’on voudrait appliquer au nom des « minorités humiliées » jusqu’à notre aptitude à comprendre, jusqu’à notre droit à connaître le passé.
Bonaparte et Monsieur Macron Mais ce qui les sépare sans doute le plus radicalement, c’est le jeu et le poids des opinions, celui des institutions, des administrations, des procédures et des lois, sans même parler de la place de la France dans le monde.
Ecrire une vie La recherche, les questions et l’analyse d’un côté, l’écriture et le récit de l’autre avec ce que cela comporte de choix, d’arbitraire, d’effets de surprise, de vitesse et de lenteur.
Le pari biographique passe autant par l’apprentissage du temps que par le plaisir d’écrire. Il constitue pour l’historien et son lecteur le plus beau des paradoxes.
Une foule de morts La guerre de 1914, elle, aura enseveli avec ses morts une société paysanne et bourgeoise séculaire, aristocratique aussi par certains aspects, et qui n’allait pas lui survivre. Un monde d’avant.
« Comment respirer au milieu de tant de haines? » s’interroge déjà Zweig en 1914. Toute l’histoire du XXème siècle se résume presque à cette question, comme si l’on avait dessiné à l’aveugle et pour plus d’un demi-siècle une vertigineuse diagonale du fou.
Solitude du pouvoir On ne comprend plus rien d’un président qui tour à tour se dérobe et s’expose. On lui prête des pouvoirs d’essence quasi monarchique et, en même temps, puisque, par le suffrage universel, il émane de la souveraineté du peuple, on répugne à le voir exercer le pouvoir en solitaire.
C’est peut-être dans ces moments-là que l’un et l’autre ont su que leur fonction les dépassait absolument, au point qu’ils ne s’appartenaient plus. La transparence et les médias n’y changeront rien. Le style et la manière des uns comme des autres non plus. La solitude demeure.
L’ère du soupçon C’était oublier un peu vite qu’il n’est pas d’Etat, fût-il démocratique, sans ombres et sans silence.
C’est que le soupçon a trouvé de nouvelles raisons de s’épanouir grâce à la multiplication des réseaux sociaux et à la tyrannie grandissante de l’émotion, qui sont autant de pièges auxquels nos démocraties se font prendre.
Mélancolie des ronds-points Il y en a près de 50 000 en France…Six fois plus qu’en Allemagne, dix fois plus qu’aux Etats-Unis.
Tout cela respire la mélancolie du vide et de l’inanité. Après tout, les ronds-points sont des no man’s land contrariants où l’on ne fait que passer.
Bref, à eux seuls, les ronds-points dont on a beaucoup entendu parler ces temps-ci sont un symptôme de notre schizophrénie. Ils coûtent cher, ils défigurent le pays et on se surprendrait presque à y voir une métaphore de la France qui tourne en rond.
Du jaune et de quelques autres couleurs A chaque époque, à chaque régime, à chaque révolte ses couleurs. Très bien. Seulement, depuis deux cents ans, la liberté, l’égalité et la fraternité ont bon dos. Je ne sais pas quelle est la couleur de la patience mais on devrait en trouver une. La République a des airs de vieille dame grise. C’est Apollinaire qui a raison : « Comme la vie est lente / Et comme l’Espérance est violente. »
Nos princes ont un visage Des portraits qui nous en disent aussi beaucoup sur la nature du pouvoir monarchique et sur ses légitimités. C’est moins l’homme que sa fonction qui est représentée ici. Les regalia -le sceptre, la main de justice et la couronne- représentent les trois pouvoirs : l’exécutif, le législatif et le judiciaire, confiés par Dieu au roi, qui caractérisent l’unicité de son commandement mais aussi son pouvoir thaumaturgique, son devoir de guide et de protecteur.
En grève ! Il n’y a pas d’autres pays que le nôtre où la politique s’est faite aussi souvent dans la rue et se mesure encore aujourd’hui à la longueur de ses cortèges.
Ce « pays-ci », comme on le disait de la cour sous l’Ancien Régime, demeurera longtemps le pays des songes. Exaltés, contradictoires, meurtris. Et, parfois, ce sont les songes qui l’emportent.
Les extrêmes se touchent En tout cas les deux côtés ont un ennemi commun : le centre modéré, progressiste, social libéral et européen. Décidément, « les extrêmes se touchent ».
En 1783 déjà, la noblesse d’un côté, la bourgeoisie de l’autre, tout à leur haine de ce qu’on appelait alors le « despotisme ministériel », avaient été jusqu’à oublier leurs différences en une improbable alliance qui avait conduit tout droit à la révolution.
Délit de fuite Il y aura désormais le Ghosn de la vie et celui de la légende.
Si Le Comte de Monte-Cristo est si réussi, c’est parce que Alexandre Dumas a su inventer Edmond Dantès quelque part entre le sommeil éternel de la prison et le rêve éveillé de la liberté, entre l’ombre et la lumière, le complot et sa résolution.
Les « mots de la tribu » A force de nous complaire en groupe dans les mêmes idées, les mêmes certitudes, nous finirons par perdre le sens de l’altérité et le goût de la contradiction. Les autres, c’est nous-même, dans une spirale sans fin d’autisme et d’enfermement.
Le rire est toujours salutaire. Il est notre politesse du désespoir. Ceux qui le pratiquent savent dire le pire pour mieux conjurer nos peurs. Nous en aurions bien besoin en ce moment. Ionesco le remarquait déjà après la guerre : « Où il n’y a pas d’humour, il y a des camps de concentration. »
Voir et rêver le monde Il n’y a pas de peur ni de morts dans les atlas, seulement du silence et des signes. J’ai toujours été fasciné par les cartes. Elles racontent une histoire et disent des choses oubliées. Ce sont des objets magiques qui permettent en quelques centimètres carrés de voir le monde et de le posséder.
La forêt, la gauche, la droite On ne dit pas assez que les forêts françaises ont doublé de surface depuis cent cinquante ans.
La France comptait 15 000 scieries en 1960, 1500 aujourd’hui. Il nous faut donc mieux produire. C’est là que le bât blesse.
Ce qui reste est toujours ce qui nous échappe, la forêt des songes, des présages et des sortilèges, celle du temps aboli, « la cité des arbres », « le grand large des bois », comme dirait Gracq. La seule chose qui compte vraiment.
Un voyage en Provence Je donnerais bien la moitié de ma vie pour voyager comme autrefois. L’excitation des départs, le plaisir de l’arrachement, les chemins de traverse, les hasards et la surprise ne font plus partie de nos vies.
La lenteur des voyages, les hasards, l’étrangeté ont toujours été pour moi synonymes de sensualité et d’heures abandonnées.
Les plus beaux voyages sont les voyages imaginaires.
Le juge, le censeur et les indics Ce qui différencie le signalement de la dénonciation et la dénonciation de la délation n’a bien souvent que l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette et cette épaisseur-là tient tout entière dans notre jugement.
Le problème c’est que toutes nos grandes crises politiques ont charrié avec elles leur lot de haines, d’idéologies, de rancunes et de jalousies.
J’ai toujours eu de l’affection pour ceux qui aux plus détestables moments de notre histoire ont eu le courage de se lever contre la « vertu » surveillante.
Vous avez dit Brexit? Je comprends pourtant les Anglais et je me surprendrais presque à devenir proche d’eux lorsque j’observe de l’autre côté de la Manche, mon pays des gilets jaunes, des normes, de la peur, des blocages et des râleries, tout ce à quoi ils échappent en partie.
Deux cathédrales Notre capitale est pleine de monuments qui nous rappellent nos guerres et nos divisions…Notre-Dame de Paris est le contraire de tout cela. Tout s’est passé dans notre histoire comme si nous avions voulu déposer à ses portes nos haines et nos rancunes.
La bêtise et la négligence ordinaire font parfois plus de ravages que toutes les haines du monde.
Une paix pour rien? Et de Gaulle d’évoquer lui-même « cette flamme d’ambition nationale, ranimée sous la cendre au souffle de la tempête », avant d’interroger sans transition, en visionnaire inspiré, la tragédie de la paix : « Comment la maintenir ardente quand le vent sera tombé? »
Vieux papiers, vieilles affiches Aujourd’hui, nous avons le verre, l’acier, les panneaux JCDecaux et l’affichage électronique sans invention ni superflu. Toutes ces choses anciennes du siècle passé n’existent plus. Elles ont le charme fragile des traces et du temps. Peut-être les aimons-nous parce qu’elles tapissent encore le fond de nos souvenirs.
Le plaisir de l’archive inédite Ouvrir un carton d’archives, défaire le lien de soie ou la ficelle qui tient ensemble la liasse des documents que l’on va lire, tout cela a quelque chose à la fois du rite d’initiation et de l’opération alchimique.
La séparation d’avec le temps, l’amnésie, l’oubli ont des allures de morgue et de charnier.
Champion du monde Heureusement, il nous reste en France les parfums, les vins et la cuisine. Ah! La cuisine! Elle survivra, j’en suis sûr, à tous les virus. Depuis que la gastronomie française a été inscrite par l’Unesco (en 2010) au patrimoine culturel immatériel de l’humanité, nous ne nous sentons plus d’aise, comme disait La Fontaine de son corbeau.
La France des angles morts Ce genre de moments tient à peu de chose : une porte qu’on ouvre, la pénombre, l’inattention, le choc et la surprise. Quand parfois l’Histoire rencontre la vie, dans la confusion de ses traces et la conviction que dès lors nos questions ne seront plus les mêmes.
Nos « 18 juin » Il y a des dates comme cela, où les événements se télescopent et se bousculent comme s’ils avaient choisi d’advenir le même jour. Le 18 juin est de celles-là, tel un aimant qui attirerait à lui depuis des siècles le meilleur et le pire de nos vieilles querelles.
« L’Histoire, c’est la rencontre d’une volonté et d’un événement », disait encore de Gaulle. Nous savons bien qu’elle est beaucoup plus que cela, mais parfois, à certaines dates, en faisant de nous les héritiers de ce que nous avons de plus précieux et dont nous nous souvenons à peine : la résistance et la liberté, elle prend des allures de parabole : « Qu’as-tu fait de tes talents? »
L’adieu au cavalier Il y aura toujours des « dernières fois ». Il y aura toujours des écuyers noirs à cheval pour hanter nos souvenirs. Je les salue en cavalier. « Calme, en avant, droit. »
La dette et nous (Italie et France) Nous ne partageons pas seulement avec nos amis italiens ce que nous avons de bien : la littérature, les arts et la peinture. Nous sommes si proches que nous avons aussi les mêmes défauts : une certaine désinvolture vis-à-vis de l’argent public et une capacité non moins certaine à nous endetter sans nous en soucier plus que de raison.
Molière parmi nous Les Tartuffe, les Harpagon, les Alceste, les Jourdain sont toujours là. On les croise matin et soir.
Molière est certainement un bon sujet de biographie, mais c’est surtout lui le biographe, et parmi le meilleurs.
Les îles de mon enfance Les métamorphoses ont leurs lieux et ces lieux ont une histoire. L’eau entoure à nouveau le Mont, mais qui se souvient encore des treize longs siècles de résistance de ce rocher héraldique posé tout droit sur la mer? Le temps, comme nos démons, change si souvent de visage!
La République, le pardon et l’oubli Nos démocraties essoufflées, mal protégées des nouveaux pouvoirs théocratiques, de plus en plus interrogées et malmenées par les réseaux sociaux, sont en crise…Nous avons oublié que si, depuis deux cents ans, nous sommes arrivés à résoudre certains de nos conflits, c’est par les voies difficiles et délicates de l’oubli. L’amnistie nous a longtemps tenu lieu d’absolution.
Nos cousins italiens Les Italiens nous doivent peut-être un peu, nous leur devons infiniment plus. Cela tient à l’air qu’ils respirent, à leur facilité d’être avec les autres, au besoin qu’ils ont de vous rendre heureux, au phrasé et au son de leurs voix. Sans eux, nous ne serions pas tout à fait ce que nous sommes. Cela n’a pas d’âge. C’est peut-être cela, la civilisation.
Qui sont les traîtres? Voyez Talleyrand On n’a pas compris que, toute sa vie, Talleyrand a essayé de faire en sorte que la machine de l’Etat verse le plus doucement possible. On n’a pas compris non plus qu’il a œuvré pour sa grandeur une fois passées les crises, mais avec des méthodes et un état d’esprit hérités de l’Ancien Régime, parfaitement étrangers aux hommes du XIXème siècle et, ce faisant, du XXème siècle. La modération, le compromis, la négociation en lieu et place de l’affrontement, la temporisation et, au bout du compte, si cela se révèle vraiment nécessaire, le double jeu.
Virus Quand la mort approche, la littérature n’est jamais loin. Nous n’en sommes plus là, nos victimes sont moins nombreuses, et pourtant les épidémies sont aux hommes ce que l’Histoire est à la folie. La médecine n’y peut rien et la raison s’en fiche. On avait peur en 1348. On aura peur quand cela recommencera.
Une épidémie de mots Avec ça, vous êtes prévenus, nous sommes en guerre. Bref, lavez-vous les mains de toute cette bouillie pour les chats si vous le voulez. Mais franchement, si vous n’avez pas envie de vomir, c’est que vous êtes contaminés.
C’est la rentrée! Notre ministre de l’Education, Jean-Michel Blanquer, a des airs de général en chef obsédé par le vertige de la défaite et du déclassement. Il n’est plus question que de plans « ultra-volontaristes » contre le décrochage scolaire, d’« aides personnalisées » et « d’évaluations » obligatoires.
Un roi sans divertissement Mais après quarante ans de règne et une abdication (en 2014, en faveur de son fils), le vieux monarque « émérite » Juan Carlos est nu, terrassé par son inconstance et sa cupidité. Peut-être, au fond, avait-il fini par s’ennuyer d’être roi. Les démocraties veulent bien qu’on les sauve. Elles ne tolèrent plus les écarts.
Rêverie dans une librairie Je poussais la porte d’une librairie comme d’autres seraient entrés dans une chapelle. C’était pour moi un acte de foi et presque une communion. Ce l’est encore aujourd’hui.
Fractures françaises Il faut passer par l’histoire si l’on veut saisir toute la complexité des fractures qui nous habitent, jusqu’à nous traverser individuellement de part en part.
Les paradoxes de 1789 sont innombrables : entre les intérêts et la vertu, l’ombre et la lumière, la transparence et le secret, le centre et la périphérie, la rue et la représentation. Ce qui n’est pas visible nous atteint souvent plus que ce qui l’est. Et ce qui est invisible appartient à l’Histoire. Un préfet de la Restauration a tout dit de cela dans l’un de ses rapports en 1821, alors qu’il évoquait Napoléon et sa légende : « Tout est calme. Seules les imaginations travaillent. »
Où sont nos années folles? Les grandes crises ont toujours été suivies de bouleversements sociaux. Elles font des perdants et des gagnants, des pauvres et des riches, ceux qui rattrapent le temps perdu et ceux qui restent au bord du chemin. Elles changent les mœurs et les mentalités.
Le grand vide des périodes d’après-guerre, leur absence de sens, le malaise d’une génération entière ont toujours senti le soufre et le fagot.
L’automne, ma saison mentale Si les saisons avaient une couleur politique, je mettrais volontiers le printemps à gauche et l’automne à droite. Pas la droite du progrès, celle des écrivains, des minutes de sable et des souvenirs. L’automne a toujours eu pour eux des airs d’apocalypse et de fin du monde.
Les héros romantiques meurent presque toujours en automne. C’est la saison des défaites, le chant du cygne des vaincus.
S’il restait aujourd’hui un lieu pour les poètes, ce serait en automne.
L'économie de demain, les 25 grandes tendances du XXIe siècle de Bastien Drut-De Boeck Supérieur (Actualités)
Émetteur du résumé: François C.
1- La population vieillit
42 ans et demi : âge médian des Européens en 2020.
2- La population mondiale croît de moins en moins vite
Elle pourrait atteindre son pic en 2064.
3- La croissance économique est plus faible
La croissance et quatre « vents contraires » : la démographie, l’éducation, les inégalités et la dette publique.
4- Les taux d’intérêt sont durablement bas
5- Le coût du changement climatique augmente rapidement
En 2100, le PIB par habitant sera in fine inférieur de 23% à ce qu’il aurait été sans changement climatique.
6- La transition énergétique commence
26,9% : part des énergies renouvelables dans la génération d’électricité au niveau mondial en 2019.
7- La biodiversité est en danger
25% : part des espèces animales et végétales connues qui sont menacées.
8- Le plastique envahit la Terre
9% : part des 8300 millions de tonnes de plastique vierge produit sur la période 1950 – 2015 qui a été recyclée.
9- La mondialisation s’essouffle
2008 : année où le commerce international a atteint son plus haut niveau.
10- La mondialisation est contestée
Cela amène et amènera de plus en plus au rejet d’accords commerciaux, ou à leur renégociation.
11- Les migrations sont plus nombreuses
272 millions ; nombre de migrants internationaux dans le monde en 2019.
12- L’urbanisation se poursuit
55,7% : part de la population mondiale vivant dans les zones urbaines en 2019 (39,3% en 1980).
13- Les inégalités ont augmenté dans les pays riches
Fin 2019, la moitié de la population américaine la plus pauvre ne détenait que 1,4% du patrimoine total des Américain. Les 1% les plus riches détenaient à eux seuls 32,7% du patrimoine total.
14- Les inégalités ont reculé au niveau mondial
9,2% : part de la population mondiale vivant avec moins de 1,90 dollar par jour en 2017. Elle était de 43% en 1980.
15- Le concept de revenu universel émerge lentement
16- Les employés ont perdu de leur pouvoir de négociation
9% : taux de syndicalisation en France en 2018 ; il était de 23% en 1975.
17- Les compétences recherchées changent rapidement
80 millions d’Européens dont les compétences ne sont pas en phase avec leurs emplois (OCDE)/la formation tout au long de la vie pour remédier à l’obsolescence des compétences.
18- La dette est de plus en plus élevée
124% : ratio dette sur PIB des pays développés pris dans leur ensemble en 2020.
19- Les banques centrales « monétisent » la dette publique
1850 milliards d’euros : montant de titres que l’Eurosystème a annoncé qu’il pourrait acheter d’ici mars 2022.
20- La monnaie se digitalise
L’ “euro numérique” pour la zone euro.
21- Le dollar, hégémonique, est sans concurrent
61% : part des réserves de change mondiales libellées en dollars en 2019, alors que les USA ne représentaient que 15% du PIB mondial.
22- La digitalisation s’accélère
2 heures et 12 minutes : temps moyen passé chaque jour par les Français sur Internet en 2019.
23- Les géants du numérique sont en position de quasi-monopole
Les systèmes d’exploitation Android et iOS sont présents, à eux deux, sur plus de 99% des smartphones dans le monde.
24- La lutte contre l’évasion fiscale se met en place
500 à 600 milliards de dollars : manque à gagner pour les gouvernements chaque année.
25- La finance responsable prend son essor
258 milliards de dollars : montant d’obligations vertes émises au niveau mondial en 2019.
Le serpent majuscule de Pierre Lemaître - Albim Michel (roman noir)
Coup de cœur de notre ancienne collègue Élodie, qui travaille à la librairie de fil en page:
Mathilde, la soixantaine, est une petite dame qui se fond dans la masse. Pourtant, sous ses airs de mamie un peu bougonne se cache une tueuse redoutable qui exécute ses missions sans un accro. Mais voilà qu’avec l’âge sa mémoire lui joue des tours, ce qui, combiné à une gâchette un peu facile, n’est pas sans faire d’innocentes victimes…
Un roman noir drôle et savoureux sur les traces d’une vieille dame aussi attachante que déjantée.
LA TECHNIQUE DES ÉTINCELLES - 80 clés pour rebondir en période de changement de Vanessa CAHIERRE et Nadège FOUGERAS - Ed. de La Martinière
Émetteur du résumé: François C.
Ch. 1 FAIRE CONFIANCE À NOS ÉMOTIONS ET NOS BESOINS POUR GUIDER NOS ACTIONS
- Mettre des mots sur ce que nous ressentons
- Apprendre à décrypter nos besoins derrière nos émotions
- Doper nos émotions positives
- Accepter de vivre nos émotions négatives
- Veiller à équilibrer nos émotions positives et nos émotions négatives
Ma bulle d’énergies positives: Le pouvoir incroyable des odeurs
Ch. 2 DÉBRANCHER! ALTERNER CONNEXION ET DÉCONNEXION
- L’importance d’alterner connexion et déconnexion
- Pourquoi est-ce si important de privilégier des phases de récupération?
- La méthode Vittoz: émissivité et réceptivité
- Comment développer sa réceptivité, se connecter à ses cinq sens?
Ma bulle sensorielle: Comment la créer?
Ch. 3 BOOSTER SON ÉNERGIE PHYSIQUE
- Notre corps est notre meilleur allié
- Notre corps nous parle et nous envoie des signaux
- Booster notre D.O.S.E. ou comment stimuler les hormones du bonheur
- Trouver la bonne activité physique.
- Bien se nourrir : un esprit sain dans un corps sain
- Capitaliser sur le sommeil
Ma bulle d’énergie corporelle: Se créer des routines
Ch. 4 GOÛTER À LA SÉRÉNITE DE VIVRE LE MOMENT PRÉSENT
- Être dans le moment présent
- Les bienfaits de la méditation
- Les pratiques formelles
- Les pratiques informelles
- Le pouvoir magique des synchronicités
Ma bulle de rituels zen: Vivre l’instant présent
Ch. 5 L’ART DE CULTIVER DES RELATIONS POSITIVES
- Comment cultiver les relations positives?
- Communiquer avec authenticité
- S’inspirer des expériences des autres
- Puiser de l’énergie dans les émotions partagées
Ma bulle de partage: Planifier et créer de bons moments avec notre entourage
Ch. 6 S’EXERCER A LA GRATITUDE ET CONTRIBUER À UN MONDE MEILLEUR
- Qu’est-ce que la gratitude ?
- Que se passe-t-il dans notre cerveau quand on pratique la gratitude?
- Comment pratiquer la gratitude dans notre quotidien?
- Retrouver la joie d’être généreux. L’acte gratuit
- Simplifier son espace. Être plutôt qu’avoir
Ma bulle de gratitude: Envers moi, envers les autres, envers le monde
Ch. 7 ET SI LE CHANGEMENT NOUS PERMETTAIT DE NOUS RÉALISER?
- Donner du sens à nos actions
- Démultiplier son énergie avec le flow
- Goûter aux bienfaits de «l’optimalisme»
- Concentrer son énergie sur l’essentiel
- Ouvrir le champ des possibles grâce à la créativité
- Se fixer des objectifs pour soutenir nos efforts
- Célébrer tous ses succès, même les plus petits
Ma bulle d’étincelles
*
CITATIONS :
Ben-Shahar La différence essentielle entre le perfectionniste et l’optimaliste est que le premier refuse essentiellement la réalité tandis que le second l’accepte.
Cabral Bienheureux est celui qui sait que partager une douleur revient à la diviser et que partager une joie revient à la multiplier.
Chopra Au centre du mouvement et du chaos, restez calme intérieurement.
Dürkheim Il y a deux façons de grandir, la souffrance et l’émerveillement.
Goethe Voyage avec deux sacs. L’un pour donner, l’autre pour recevoir.
Harrus-Révidi Avant d’être pensé, le monde qui nous entoure est vu, senti, entendu, charnellement vécu.
St. Jobs La créativité, c’est seulement mettre les choses en connexion. Quand vous demandez à des gens créatifs comment ils ont fait telle ou telle chose, ils se sentent un peu coupables parce qu’ils n’ont pas vraiment fait quelque chose. Ils ont juste vu quelque chose. ça leur a semblé évident après-coup. C’est parce qu’ils ont été capables de connecter des expériences et de les synthétiser sous une nouvelle forme.
CG Jung L’homme mérite qu’il se soucie de lui-même car il porte dans son âme les germes de son devenir.
Lacroix La vie est une alternance de mouvements et de repos. Tantôt nous tendons le ressort de notre être. Tantôt, au contraire, nous sommes dans la détente de notre être. Cette pulsation de l’activité et du lâcher-prise, la vita activa et la vita contemplativa, rythme le cours de l’existence.
Je suis responsable de mes paroles, de l’impact psychologique de mes paroles.
Le Breton Être à l’écoute de soi tout court, sentir sa présence au monde et s’en émerveiller. Voilà qui nourrit le sentiment que vivre est une chance.
Fr. Lenoir L’une des clés essentielles d’une « vie bonne » réside dans le non-attachement aux objets.
Monbourquette Si on ne pardonne pas, on ne peut pas être dans l’instant présent. On s’accroche au passé et on se condamne à rater son présent. Et en plus, on bloque son avenir.
Odoul Le langage du corps est un langage qui ne ment pas, qui est précis et direct.
Pivot La rêverie vagabonde est nécessaire à une bonne hygiène de vie, à l’équilibre de l’homme dans la bourrasque quotidienne.
Ricard Plus je ressens, dans la journée, dans la vie, des émotions positives, de l’affection, de l’admiration, de la compassion, du bien-être, de la joie, de l’élévation, moins il y aura de l’espace pour l’apparition, l’expansion et la flambée des émotions douloureuses, destructrices et négatives.
Salomé Sachant que tout ce qui ne s’exprime pas s’imprime, il est souhaitable de favoriser l’expression au-delà de l’émotion ou du retentissement. Cette pratique permettra d’éviter quelques somatisations, du stress et de l’angoisse.
Sénèque Être heureux, c’est apprendre à choisir. (…) Bien vivre, c’est apprendre à ne pas répondre à toutes les sollicitations, à hiérarchiser ses priorités.
Soulages Si l’on sait qu’on ne sait pas, si l’on est attentif à ce que l’on ne connaît pas, si l’on guette ce qui apparaît comme inconnu, c’est alors qu’une découverte est possible.
Thich Nhat Hanh Vivre en pleine conscience, ralentir son pas et goûter chaque seconde et chaque respiration, cela suffit.
Vittoz La concentration est la faculté de pouvoir fixer sa pensée sur un point donné, de suivre le développement d’une idée sans se laisser distraire, simplement de pouvoir s’abstraire dans un travail quelconque.
St. Zweig La pause, elle aussi, fait partie de la musique.
*
Leçon d'un siècle de vie d'Edgar Morin - Denoël
Émetteur du verbatim: François.C
1. L’IDENTITE UNE ET MULTIPLE Je suis un Tout pour moi, tout en n’étant quasi rien pour le Tout. Je suis un humain parmi huit milliards, je suis un individu singulier et quelconque, différent et semblable aux autres. Je suis le produit d’événements et de rencontres improbables, aléatoires, ambivalentes, surprenantes, inattendues. Et en même temps je suis Moi, individu concret, doté d’une machine hypercomplexe auto-éco-organisatrice qu’est mon organisme, machine non triviale, capable de répondre à l’inattendu et de créer de l’inattendu. Le cerveau donne à chacun l’esprit et l’âme, invisibles au neuroscientifique qui analyse le cerveau, mais émergeant en chaque humain dans sa relation avec autrui et le monde.
Chacun d’entre nous est un microcosme, portant à l’intérieur de l’unité irréductible de son Moi-Je, souvent inconsciemment, les multiples Touts dont il fait partie au sein du grand Tout. Ces multiples Touts sont constitués de la diversité de nos ascendances familiales et de nos appartenances sociales.
Le refus d’une identité monolithique ou réductrice, la conscience de l’unité/multiplicité (unitas multiplex) de l’identité sont des nécessités d’hygiène mentale pour améliorer les relations humaines.
2. L’IMPREVU ET L’INCERTAIN De ma chance de vivre est venue la suprême malchance, le malheur de perdre ma mère à l’âge de dix ans…Et du malheur initial, qui n’a cessé d’être malheur, sont venus les grands bonheurs de ma vie.
Le hasard, c’est évidemment l’imprévisible… L’imprévisibilité demeure dans l’irruption de l’inattendu, accident ou création. Bref, je crois qu’on ne saura jamais si le hasard est vraiment du hasard.
Chance et malchance vont ainsi se succéder, liées à l’imprévu, pour ne pas dire au hasard.
Je pourrais continuer avec chance et malchance, malheur et bonheur, puisque le malheur de la mort de mon épouse Edwige a été suivi un an plus tard de la rencontre très improbable, par un extrême hasard, avec Sabah, qui me donne la vie.
La vie, pour tout être humain, est dès la naissance imprévisible, nul ne sachant ce qu’il adviendra de sa vie affective, de sa santé, de son travail, de ses choix politiques, de sa durée de vie, de l’heure de sa mort.
Nous avons beau nous croire armés de certitudes et de programmes, nous devons apprendre que toute vie est une navigation dans un océan d’incertitudes à travers quelques îles ou archipels de certitudes où nous ravitailler.
Ici je veux souligner qu’une des grandes leçons de ma vie est de cesser de croire en la pérennité du présent, en la continuité du devenir, en la prévisibilité du futur. Sans cesse, tout en étant discontinues, les irruptions soudaines de l’imprévu viennent bousculer ou transformer, parfois de façon heureuse parfois de façon malheureuse, notre vie individuelle, notre vie de citoyen, la vie de notre nation, la vie de l’humanité.
Toute vie est incertaine, elle rencontre sans cesse l’imprévu. La malchance peut devenir chance et la chance peut devenir malchance. L’adversité peut apporter des bienfaits ; le malheur peut susciter du bonheur.
3. SAVOIR VIVRE De fait, l’aspiration à se réaliser incividuellement tout en étant lié à une communauté et/ou à autrui présente un antagonisme interne potentiel et peut créer de difficiles problèmes, mais elle demeure une aspiration humaine fondamentale.
L’état poétique donne le sentiment du bonheur, le bonheur a en lui-même la qualité poétique. Et, pour moi, l’état poétique est sous-jacent à tout bonheur, il est au cœur de tous les bonheurs, fugitifs ou durables.
Cela pour dire que la poésie commence avec la vie ; elle éclot dès qu’apparaît ce que nous nommons « joie de vivre »…
Je veux surtout évoquer ce que j’ai appelé les extases de l’histoire, moments extraordinaires, rares et fugitifs, d’émancipation, de liberté, de fraternité, comme le fut pour moi et tant d’autres la libération de Paris.
C’est dire que l’état véritablement poétique, celui qui s’épanouit, ne saurait être fermé. Il nourrit sa poésie de l’ouverture, ouverture à autrui, ouverture au monde, ouverture à la vie, ouverture à l’humanité.
Le Savoir Vivre associe l’aspration à la « vraie vie », le besoin de réaliser ses aspirations personnelles dans la relation permanente entre le Je et le Nous, la qualité poétique de la vie, la satisfaction du désir de reconnaissance.
4. LA COMPLEXITE HUMAINE Je découvrais que le mythe, la religion, les idéologies, constituent une réalité humaine et sociale aussi importante que les processus économiques et les conflits de classes, ce qui me fit abandonner la conception marxiste rationalisant l’histoire humaine à partir de l’infrastructure économique.
Aussi vivre est-il un art incertain et difficile où tout ce qui est passion, pour ne pas succomber à l’égarement, doit être surveillé par la raison, où toute raison doit être animée par une passion, à commencer par la passion de connaître.
Les relations entre sapiens, demens, faber, mythologicus, oeconomicus, ludens et liber peuvent être en chaque individu flexibles et changeantes…Les relations entre rationalité/passion/délire/foi/mythe/religion sont en chacun permutables, instables et modifiables. L’humain n’est ni bon ni mauvais, il est complexe et versatile.
Cette complexité individuelle est un des trois termes de la trinité complexe individu/société/espèce qui définit l’humain…Dans cette trinité humaine comme dans la Sainte Trinité, chacun des termes est à la fois générateur des autres et généré par les autres.
5. MES EXPERIENCES POLITIQUES : DANS LE TORRENT DU SIECLE Sans doute la conscience d’être issu d’un peuple maudit durant un millénaire, entretenue par la virulence de l’antisémitisme des années 1930 – 1940 fortifia en moi la compassion pour tous les maudits, vaincus, asservis, colonisés. Mais j’ai toujours voulu me situer au niveau universaliste de l’humanisme.
Quelles leçons tirer de cette expérience? Celle de l’inconscience somnambulique propre aux époques précédant et préparant les désastres historiques. Celle des conséquences énormes des erreurs, aveuglements, illusions des dirigeants et des populations. Celle de l’incapacité générale de saisir le caractère nouveau des totalitarismes…
Au XXIème siècle, il est d’autant plus important de comprendre la capacité d’Etats à esclavagiser et à domestiquer les esprits qu’il se forme actuellement tous les éléments d’un néototalitarisme dont le premier modèle s’est installé dans l’immense Chine.
Je tire de ces années la leçon qu’une progression économique et technique peut comporter une régression politique et civilisationnelle, ce qui à mes yeux est de plus en plus patent au XXIème siècle.
Enfin la pandémie du Covid, suscitant une crise planétaire multidimensionnelle, devient un élément nouveau de précarité, d’incertitude et d’angoisse.
6. MES EXPERIENCES POLITIQUES : LES NOUVEAUX PERILS Dès mon livre Terre-Patrie, j’étais conscient du fait que la mondialisation techno-économique avait créé une communauté de destin entre tous les humains dans le déferlement économique planétaire, la dégradation de la biosphère, les périls dus à la multiplication des armes nucléaires.
Une des plus grandes leçons de mes expériences, c’est que le retour de la barbarie est toujours possible. Aucun acquis historique n’est irréversible.
Je prévois la possibilité du pire, voire sa probabilité, mais le pire n’est pas sûr, l’improbable est lui aussi possible, tout comme l’imprévisible.
L’humanisme régénéré se fonde sur la reconnaissance de la complexité humaine et la plénitude des droits à tous les humains quels que soient leur origine, sexe ou âge. Il puise aux sources de l’éthique qui sont solidarité et responsabilité.
Ce qui m’est apparu de plus en plus nettement avec le temps, c’est que dans l’univers physique et biologique, les forces d’association et d’union se combinent avec celles de dispersion et de destruction…Cette dialectique peut être symbolisée dans l’histoire humaine par la relation indissoluble entre Eros, Polémos et Thanatos. Il me semble bien que Thanatos soit le vainqueur final, mais il est évident pour moi que, quoi qu’il arrive, notre vie ne peut avoir de sens qu’en prenant le parti d’Eros.
7. L’ERREUR DE SOUS-ESTIMER L’ERREUR Le risque d’erreur et d’illusion est permanent dans toute vie humaine, personnelle, sociale, historique, dans toute décision et action, voire dans toute abstention, et il peut conduire à des désastres.
Je regrette donc mes erreurs et ne les regrette pas, car elles m’ont donné l’expérience de vivre dans un univers religieux absolutiste qui, comme toute religion, a eu ses saints, ses martyrs et ses bourreaux. Un monde qui rend halluciné, dégrade et détruit les meilleurs. Mon séjour de six ans en Stalinie m’a éduqué sur les puissances de l’illusion, de l’erreur et du mensonge historique.
La connaissance ne se construit pas sans un risque d’erreur. Mais l’erreur joue un rôle positif quand elle est reconnue, analysée et dépassée. « L’esprit scientifique se constitue sur un ensemble d’erreurs rectifiées », écrivait Bachelard.
Des millions de personnes crurent que la révolution culturelle chinoise était une grande étape du progrès communiste, alors que c’était une folle hécatombe, faisant des millions de victimes.
L’expérience m’a démontré que le danger d’être mal informé est très grand quand on ne dispose ni de plusieurs sources ni d’avis différents sur un même événement. Ce sont ces deux pluralités qui peuvent nous permettre de nous faire une opinion, et souvent -pas toujours- d’éviter des erreurs.
Il est important, dans un monde en constante transformation, de faire tous les dix ans une révision de sa vision du monde…L’histoire humaine est relativement intelligible a posteriori mais toujours imprévisible a priori.
Il faut savoir plus généralement que l’occultation des complexités, i.e. des relations indissolubles entre des composants différents relevant de disciplines compartimentées, conduit à l’erreur.
Chaque vie est une aventure incertaine. On peut se tromper dans ses choix : amicaux, amoureux, professionnels, médicaux, politiques. Le spectre de l’erreur nous suit pas à pas.
CREDO Chacun porte en soi le double impératif complémentaire du Je et du Nous, de l’individualisme et du communautarisme, de l’égoïsme et de l’altruisme. La conscience de ce double impératif s’est profondément enracinée dans mon esprit au fil des années. Elle m’a toujours poussé à entretenir et à fortifier la capacité d’amour et d’émerveillement en même temps que la résistance obstinée à la cruauté du monde.
Ma leçon ultime, fruit conjoint de toutes mes expériences, est dans ce cercle vertueux où coopèrent la raison ouverte et la bienveillance aimante.
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